Un magnifique roman sur les Hassidim d’Outremont

Magali Sauves

Yiosh! (Éditions Hamac Classique, 2014) de Magali Sauves est l’un des plus beaux romans sur le monde juif hassidique qu’il m’a été donné de lire ces dernières années.

Émouvant, pénétrant et magnifiquement bien écrit, ce récit enlevant, porté par un souffle romanesque impressionnant, nous plonge dans un univers très singulier et fort méconnu, celui de la Communauté hassidique d’Outremont.  

En effet, la grande majorité des Québécois, et bon nombre de Juifs aussi, ne connaissent le monde hassidique juif montréalais qu’à travers le prisme déformant, véhiculant des stéréotypes tenaces, de médias en quête de scoops sensationnalistes.

Juive traditionaliste, Magali Sauves a fait la découverte du monde hassidique montréalais par pur hasard. À son arrivée au Québec, il y a une dizaine d’années, elle cherchait un emploi d’enseignante de français. Une école juive ultra-orthodoxe hassidique d’Outremont l’embaucha. Pendant dix ans, elle a enseigné le français à des fillettes membres de la Communauté hassidique.

“J’ai hésité avant d’accepter ce premier emploi d’enseignante à Montréal. J’ignorais complètement tout du monde hassidique. À cette époque, j’avais aussi des préjugés sur les Juifs hassidiques. Aujourd’hui, avec le recul, je réalise que si j’avais refusé l’offre d’emploi que cette école ultra-orthodoxe d’Outremont m’a faite peu de temps après mon arrivée à Montréal, ça aurait été sans aucun doute la plus grande erreur de ma vie. Cet emploi m’a permis de découvrir une Communauté juive magnifique et très généreuse. Ma rencontre inopinée avec le monde hassidique a été indéniablement l’une des expériences les plus marquantes de ma vie”, nous a confié Magali Sauves en entrevue.

L’héroïne principale de Yiosh!, Alexandra Ackerman, est une jeune fille russe intelligente et très vaillante qui n’a pas été épargnée par la vie. Dénigrée, battue et violée depuis qu’elle était une enfant, Alexandra a grandi, avec son inséparable frère Gének, dans un univers lugubre et très miséreux ravagé par l’alcool, la prostitution et le banditisme. Un jour, sa mère Roizy, une prostituée à pied d’œuvre dans les grandes artères de Saint-Pétersbourg, somma ses enfants, après une violente altercation entre l’un de ses clients saouls, qui essaya de violer Alexandra, et Gének, qui vint à la rescousse de sa jeune soeur terrifiée, de quitter sur le champ sans rechigner la demeure familiale. 

Ce jour très lugubre, l’âme slave d’Alexandra prit un coup lorsqu’elle comprit qu’elle était fille d’une prostituée et petite-fille de rescapés de la Shoah

Alexandra et Gének s’enfuirent vers le Canada. Le jeune homme fut accueilli dans une Yéchiva, à Toronto, et sa sœur trouva refuge chez des Juifs hassidiques d’Outremont, à Montréal. 

Complètement déracinée, Alexandra est obligée de se fondre dans des traditions juives millénaires qu’elle ne cesse de remettre en question. Par ailleurs, la jeune fille comprendra rapidement que la famille qui l’héberge cache plusieurs lourds secrets, que ses membres portent en eux des cicatrices profondes laissées par l’histoire de leurs ancêtres en Europe…

C’est un “commentaire fortement interpellateur” d’une de ses jeunes élèves hassidiques qui a motivé Magali Sauves à écrire ce roman à relents biographiques.

“Un jour, une jeune élève de 15 ans m’a dit: “Vous ne pouvez pas savoir Madame comment ça me frustre que les gens pensent que les Hassidim n’ont pas les mêmes problèmes que les autres êtres humains”. Cette remarque percutante a été le déclencheur de ce roman.”

Magali Sauves a fréquenté des familles juives hassidiques d’Outremont durant dix ans, six jours sur sept.

“La découverte du monde hassidique a été pour moi un immense enrichissement qui m’a obligée à réfléchir sur mon Identité juive, et aussi sur mon Séphardisme, dit-elle. Depuis, je ne cesse de me questionner sur ce que signifie réellement être orthodoxe? Les Hassidim vivent un très grand dilemme, que beaucoup de gens qualifient de schizophrénie. À leurs yeux, le monde qui les entoure s’est arrêté de tourner. Eux, en tout cas, tournent dans le sens inverse du monde. Dans le roman, Alexandra pose avec acuité la question de l’avenir de l’Identité juive.”

Magali Sauves déplore la “perception très erronée et caricaturale” que beaucoup de Québécois ont des Juifs.

“Très souvent, pour un Québécois, un Juif c’est un Hassid aux longues papillotes arborant une redingote noire. Cette vision très réductrice et stigmatisante du Juif ne rend pas justice à la riche diversité qui prévaut dans le Judaïsme. Les Juifs sont un peuple multiple et très bigarré”

Avec Yiosh! Magali Sauves confirme son grand talent littéraire.

Son premier livre, Bleu Azreq (Éditions Sémaphore, 2011) est une fresque romanesque très poignante relatant l’Histoire des Juifs de Tunisie durant la Deuxième Guerre mondiale. Un premier roman écrit d’une plume alerte et assurée. Une réussite absolue tant sur le plan romanesque qu’historique. 

Magali Sauves est née à Pantin, dans la région parisienne, d’une mère Juive tunisienne et d’un père aristocrate Catholique.

Détentrice d’une Maîtrise en Éducation de l’Université du Québec à Montréal (U.Q.A.M.), elle poursuit des Études doctorales sur les mécanismes de la compréhension de lecture à l’Université de Montréal. Magali Sauves est actuellement Coordonnatrice des Études françaises à l’École Akiva de Montréal.

Son prochain livre: un Polar qui paraîtra en 2015.