Une entrevue avec l’écrivaine israélienne Zeruya Shalev

Zeruya Shalev  [Photo: C. Hélie-Gallimard)

La grande écrivaine israélienne Zeruya Shalev vient d’obtenir l’une des plus prestigieuses Distinctions décernées par la Littérature française, le Prix Fémina étranger, pour son magnifique et très bouleversant roman Ce qui reste de nos vies, publié aux Éditions Gallimard et remarquablement bien traduit de l’hébreu au français par Laurence Sendrowicz.

Zeruya Shalev est la première écrivaine israélienne à obtenir ce Prix littéraire francophone très renommé. Le grand écrivain israélien Amos Oz l’a obtenu en 1988 pour son très beau roman La Boîte Noire.

Née en 1959 dans un Kibboutz en Galilée, Zeruya Shalev, qui est la cousine d’un autre écrivain israélien célèbre, Meïr Shalev, est l’un des rares écrivains à vivre de sa plume en Israël. Ses livres ont été traduits en 21 langues. Mariée à l’écrivain Eyal Megged et mère de trois enfants, elle vit et travaille comme Éditrice à Jérusalem.

Ce qui reste de nos vies est un roman très envoûtant sur l’amour, la famille, les ressentiments, la mort et l’espoir. L’auteure nous relate la vie tumultueuse d’une vieille femme moribonde, Hemda Horowitch. À la fin de sa vie, les souvenirs douloureux l’assaillent: son père exigeant, un mariage sans amour, ses rapports inéquitables avec ses deux enfants, Avner et Dina… Hemda a toujours eu des relations très acrimonieuses avec sa fille, Dina, alors qu’elle a toujours aimé passionnément son fils, Avner. 

Face à leur mère mourante, Avner, le fils adoré, et Dina, la mal-aimée, tentent désespérément de changer radicalement le cours de leur vie. Hemda exhorte Dina à adopter un enfant pour qu’elle puisse redonner à celui-ci tout l’amour qu’elle n’a jamais su prodiguer à sa fille. Avner rencontre à l’hôpital une femme venue accompagner son amant mourant et entame une étrange relation avec elle…

Ce qui reste de nos vies est certainement mon roman le plus optimiste. C’est un livre sur l’espoir et la difficile réconciliation entre les membres d’une famille que les circonstances de la vie ont brisée. À la différence des personnages de mes autres livres, les personnages de Ce qui reste de nos vies cherchent tous l’amour. Ce roman véhicule un message d’espoir et de renaissance. J’évoque la colère, le ressentiment et la peur qui construisent les familles autant que l’amour inépuisable qui unit celles-ci”, nous a expliqué Zeruya Shalev au cours de l’entrevue qu’elle a accordée au Canadian Jewish News depuis sa résidence à Jérusalem.

Il y a dix ans, Zeruya Shalev a été victime d’un attentat terroriste palestinien au cours duquel dix civils israéliens furent tués. Ce matin-là, en revenant à pied chez elle de l’école où elle venait d’accompagner son fils, un bus plein de monde explosa à proximité d’où elle se trouvait. Elle fut grièvement blessée. Pendant six mois, elle demeura cloîtrée dans son lit.

“Pendant cette longue période d’inactivité, j’ai cru que je n’allais plus jamais être capable d’écrire. J’ai alors pris conscience de la fragilité de l’existence d’un être humain. C’est ce qui m’a poussée davantage à continuer à écrire des romans qui explorent non pas la réalité extérieure de la société israélienne, qui est de plus en plus violente, mais la réalité intérieure, celle qui me permet d’examiner l’âme humaine, universelle, qui parle de la guerre des sexes et non de la guerre des peuples.”

Ce qui reste de nos vies est certainement le roman le plus “israélien” de Zeruya Shalev. Pour la première fois, la romancière aborde frontalement le sulfureux conflit israélo-palestinien par le biais de son personnage Avner, un avocat de Gauche qui défend les droits des Bédouins et des Palestiniens. Pourquoi les problèmes politiques israéliens étaient-ils jusqu’ici peu présents dans ses romans?

“La politique israélienne est tellement omniprésente dans ma vie quotidienne que j’ai toujours essayé que celle-ci ne prenne pas le contrôle de mes livres. Ne pas aborder dans mes livres des sujets politiques, c’est ma façon de protester contre l’atmosphère de violence et de guerre qui a toujours régné en Israël. C’est une situation sans espoir que je n’ai jamais voulu transposer dans mes livres”, explique-t-elle.

Dans Ce qui reste de nos vies, le personnage d’Avner a contraint Zeruya Shalev à ouvrir “une fenêtre sur la société israélienne”, reconnaît-elle.

“L’histoire que je raconte dans ce roman avait besoin d’être plus ancrée dans la société israélienne. J’ai écrit ce roman avant qu’éclate la dernière guerre à Gaza entre Israël et le Hamas. Mais, l’Histoire du conflit entre Israël et les Palestiniens n’a pas changé d’un iota depuis 1948. Il s’agit toujours d’un conflit entre Sécurité et Droits de l’homme. J’essaye de montrer dans ce roman, à ma manière bien sûr, la grande complexité de ce grand drame humain. En Occident, nombreux sont ceux qui perçoivent le dur conflit entre Israéliens et Palestiniens comme un Western hollywoodien peuplé de méchants cow-boys, les Israéliens, et de gentils Indiens persécutés, les Palestiniens. La réalité est bien plus complexe!”

Les lecteurs et lectrices des romans de Zeruya Shalev lui reprochent souvent d’écrire des récits “noirs” et “très fatalistes”. Que leur répond-elle?

“Le but de la Littérature n’a jamais été d’embellir la vie. Je rappelle souvent à mes lecteurs qui me disent que ma vision du monde et de la vie est trop noire que la vie réelle est bien plus lugubre que celle que vivent les personnages de mes romans. Par ailleurs, mon but comme écrivaine n’est pas seulement de dépeindre les difficultés existentielles quotidiennes auxquelles des femmes et des hommes sont confrontés, mais aussi d’explorer le processus par lequel ces êtres humains aux abois parviennent parfois à se dépêtrer des situations les plus désespérantes.”

Comment Zeruya Shalev envisage-t-elle l’avenir d’Israël?

“Malheureusement, les Israéliens vivent une autre période catastrophique de leur Histoire. Je crois que nous sommes à la veille de l’éclatement de la troisième Intifada palestinienne. À l’instar de beaucoup d’Israéliens, j’ai de nouveau très peur et suis très angoissée. J’ai surtout peur pour l’avenir de mes enfants. Je déteste la vie en Israël. Pourtant, je n’ai jamais envisagé de vivre ailleurs, même après avoir été sévèrement blessée dans un attentat terroriste. Je continuerai à me battre pour tout ce en quoi je crois profondément. Souhaitons-nous des jours meilleurs…”