Léon Ouaknine, le Québec et les Juifs

Léon Ouaknine

Léon Ouaknine a tou­jours manié magistralement le verbe et la plume. Ce brillant intellectuel, témoin pri­vi­lé­gié des profondes mutations que la Communauté juive de Mont­réal et le Québec ont connues depuis le début des années 70, vient de publier ses Mémoires. Un livre remarquable et passionnant, brillamment écrit, intitulé Ni d’Ici ni d’Ailleurs. Le Québec, les Juifs et moi (Éditions Grenier).

Dans ce livre autobio­graphique très captivant, qu’on ne peut plus lâcher une fois qu’on a amorcé la lecture, émaillé d’une kyrielle d’anecdotes et de péripéties, plusieurs inouïes, Léon Ouaknine relate avec lucidité et finesse les étapes les plus marquantes de sa vie fort mouvementée: l’histoire de sa famille dans le Maroc des années 30 et 40,  pays où il a vécu jusqu’à l’âge de 5 ans; le départ vers Israël en janvier 1948, quatre mois avant la fondation de l’État juif; la difficile intégration de sa famille dans l’Israël naissant; les discriminations dont les Juifs marocains furent victimes dans une société israélienne entièrement sous l’emprise de l’establishment travailliste ashkénaze; la difficile réinstallation de la famille Ouaknine dans la France des années 50; ses années scolaires dans l’Hexagone des Trente glorieuses -période de forte croissance éco­no­mique que la grande majorité des pays développés ont connue de 1945 à 1973-; la découverte, en 1968, par un concours de circonstances des plus hasardeux, d’un Québec en pleine métamorphose…

“J’ai écrit ce livre pour montrer qu’on échappe difficilement aux tatouages identitaires. Ce livre auto­biographique est le récit d’un errant qui n’est ni d’ici, ni d’ailleurs. Ce livre est un exercice contre l’oubli. Mais, je ne cherche pas à exister par le biais de l’écriture, j’utilise simplement l’écriture pour interpeller ma filiation et mes affiliations. On ne naît pas de rien. On ne peut pas se comprendre pleinement si on n’a pas une idée forte de sa filiation, qu’elle soit bio­lo­gique, culturelle ou spirituelle, en accord ou à l’encontre de la filiation du milieu qui nous a vus naître. Savoir d’où on vient, c’est important car, tout immigrant vous le dira, on ne se déracine pas impunément. Le grand poète québécois Gaston Miron a écrit: “Il n’y a pas d’avenir sans Mémoire”. Avec la Mémoire, la filiation acquiert une dimension plus rétrécie, plus profonde, elle devient un choix et pas un banal enlisement”, expliqua Léon Ouaknine lors de l’allocution qu’il a prononcée à l’occasion du lancement de son livre.

Cet événement a eu lieu à l’ÉcoMusée du Fier Monde de Montréal. Quelque 150 personnes, parmi elles un bon nombre de leaders de la Communauté sépharade de Montréal et de personnalités de la scène publique québécoise, dont l’ancien Ministre de la Justice du Québec et ex-Juge de la Cour supérieure du Québec, Herbert Marx, un ami de longue date de Léon Ouaknine, y assistèrent.

On prête à Socrate la ­ma­xime sui­vante: “Une vie sans examen ne vaut pas la peine d’être vécue”, ajouta Léon Ouaknine.

“Revisiter sa vie est une façon de s’interroger rétroactivement sur la signi­fi­ca­tion de celle-ci. Si on est honnête, on conclura inévitablement que pour la plupart d’entre nous, nous sommes comme des pierres que la rivière charrie sans réel contrôle sur nos vies, ballottés que nous ­sommes par ces hasards constants qui façonnent la Loi du monde. Mais, au moins en avoir conscience clairement, c’est déjà une forme de ­victoire dans ce Théâtre de l’absurde dans lequel se déroule notre vie.”

Pendant 22 ans, Léon Ouaknine a assumé des fonctions importantes dans le monde associatif (Y.M.C.A. et Y.M.H.A.) et dirigé plusieurs Établisse­ments publics de Santé et de Services sociaux québécois (C.S.S., C.L.S.C…). Au Québec, il a été le fondateur d’un Institut universitaire de Gérontologie sociale et, en France, le co-fondateur d’un Diplôme universitaire de Qualité en Santé, offert par la Faculté de Médecine de l’Université Paris-Sud.

Dans son livre très documenté, Léon Ouaknine devient aussi le Mémorialiste de la Communauté juive du Québec. Il évoque les rapports, souvent très acrimonieux, que celle-ci a entretenus avec la majorité francophone et les élites politiques nationalistes de la Belle Province.

Léon Ouaknine se considère comme “un observateur attentif” des “interactions tumultueuses” entre trois Mondes qui s’affrontèrent, souvent avec rudesse, dans les années 70 et 80: les anciens Canadiens-Français, devenus au fil du temps les Québécois d’aujourd’hui, les Juifs anglophones Ashkénazes et les Juifs marocains francophones Sépharades, des immigrants de fraîche date qui décidèrent d’établir leurs pénates dans l’unique Province majoritairement francophone du Canada.

Léon Ouaknine narre, avec moult détails, les combats, souvent fou­gueux, qui opposèrent ces trois Groupes, qui s’escrimaient à pré­server leurs spécifi­cités identitaires, culturelles et linguistiques dans une société québécoise en pleine ébullition.

“Travailler à l’interface de ces trois Tribus, peut-être devrais-je dire Ethnies pour être dans l’air du Temps, ne fut pas facile dans un contexte où le Québec, en pleine affirmation identitaire, devait protéger sa culture et sa langue, alors que la Communauté juive anglophone craignait par-dessus tout de voir un Groupe ethnique confisquer le pouvoir, et peut-être faire écla­ter le Canada. Je conte dans mon livre quelques-unes des péripéties connues et cachées de cette Saga”, précise Léon Ouaknine.

Ce dernier consacre aussi un long passage à la création, très houleuse, au début des années 70, de la Communauté sépharade du Québec. Des pages très éloquentes sur l’Histoire du Séphardisme québécois.

Ni d’Ici ni d’Ailleurs. Le Québec, les Juifs et moi est le deuxième livre de Léon Ouaknine. En 2009, il a co-écrit avec sa fille, Stéphanie, un livre critique sur les religions, Il n’y a jamais eu d’abonné au No que vous avez appelé (Éditions Grenier).

 

Quebec author and academic Léon Ouaknine recently launched his latest book, Ni d’Ici ni d’Ailleurs. Le Québec, les Juifs et moi, an autobiographical memoir.