Le nouveau Gouvernement Netanyahou sera-t-il viable?

Claude Klein

Juriste et politologue renommé, Claude Klein, ancien Doyen de la Faculté de Droit de l’Université Hébraïque de Jérusalem, est un grand spécialiste du système politique israélien. Il est l’auteur de plusieurs livres sur le système politique et la société israéliens, devenus des ouvrages de référence dans les milieux universitaires. Son dernier livre: une réflexion remarquable sur le Procès d’Adolf Eichmann à Jérusalem, en 1961 -Le cas Eichmann: Vu de Jéru­sa­lem (Éditions Gallimard, 2012).

Claude Klein était de passage à Montréal à l’invitation de la Faculté de Droit de l’Université de Montréal. Il est le premier conférencier israélien invité dans le cadre d’un Programme d’échanges académiques entre les Facultés de Droit de l’Université de Montréal et de l’Université Hébraïque de Jérusalem.

Lors de son bref séjour à Montréal, Claude Klein a aussi donné une conférence à la Librairie Olivieri. Cet événement a été organisé par le Centre Consultatif des Relations Juives et Israéliennes (C.E.R.J.I.), Instance représentative officielle des Juifs du Canada. Myriam Azogui-Halbwax, Directrice adjointe des Relations communautaires et universitaires au C.E.R.J.I., l’a introduit à l’assistance présente à cette conférence.

Le Professeur Claude Klein nous a accordé une entrevue.

Canadian Jewish News: Benyamin Netanyahou n’a-t-il pas réussi un grand tour de force politique en convainquant Yaïr Lapid, leader du Parti de centre-droit Yesh Atid, farouchement opposé au financement public de nouvelles implantations juives en Cisjordanie, et Naftali Bennett, leader du Parti religieux de droite Habayit Hayehudi, ardent défenseur des colons Juifs installés en Cisjordanie, de se joindre à la coalition gouvernementale qu’il a mise sur pied après deux mois de tractations intenses et ardues?

Claude Klein: En principe, vous avez raison. Effectivement, Yaïr Lapid et Naftali Bennett ont des positions politiques et idéologiques opposées. Mais, en réalité, pour ces derniers, le pro­blème palestinien, ce n’est pas important. Cette assertion choquera certainement plusieurs. Rationnellement, le problème palestinien est indéniablement le problème le plus épineux auquel Israël est confronté. Mais, aujourd’hui, la majorité des Israéliens sont résolument convaincus que le contentieux israélo-palestinien ne pourra pas être résolu. C’est la raison pour laquelle la question des négociations avec les Palestiniens, qui devrait être très prioritaire dans ­l’Agenda des leaders politiques israéliens, n’a presque pas été abordée lors de la dernière campagne électorale. À l’heure actuelle, pour la majorité des Israéliens, le problème le plus prioritaire est celui qu’on appelle pudiquement l’“égalité dans le fardeau”, c’est-à-dire la répartition égale du fardeau économique et fiscal entre tous les citoyens d’Israël.

Pour la grande majorité des Israéliens, la priorité des priorités, ce n’est pas la poursuite des pourparlers de paix avec les Palestiniens, mais que les Haredim travaillent et fassent aussi leur Service militaire, comme les autres citoyens israéliens. Les subsides financiers gouvernementaux alloués aux Juifs ultra-orthodoxes constituent un poids énorme pour l’éco­no­mie d’Israël. Les Israéliens considèrent qu’il s’agit là d’une improductivité invraisemblable. C’est la raison pour laquelle, pour la deuxième fois dans l’Histoire de l’État d’Israël, les Haredim ne feront pas partie de la coalition gouvernementale qui dirigera le pays.

C.J.N.: Donc, les négociations israélo-palestiniennes ne sont pas à la veille d’être relancées?

Claude Klein: Le processus de paix continuera très probablement à stagner. Je ne vois vraiment pas qu’est-ce qui pourrait faire bouger les choses dans les prochains mois. Seule­ment une troisième Intifada palestinienne ou une intervention musclée du Président Barack Obama auprès des Israéliens et des Palestiniens pourrait peut-être relancer les négociations israélo-palestiniennes.

C.J.N.: La nouvelle Knesseth parviendra-t-elle à promulguer une nouvelle Loi qui obligera les Juifs ultra-orthodoxes à faire leur Service militaire ou un Service civil?

Claude Klein: L’adoption d’une nouvelle Loi, qui substituera la Loi Tal -qui exonérait jusque-là les Juifs orthodoxes de faire leur Service militaire-, abrogée à la fin de l’été 2012, ne sera certainement pas la panacée miracle qui réglera ce grand problème social. Soyons réalistes! On ne peut pas contraindre par la force des citoyens à aller à l’Armée. Je dis sou­vent à mes étudiants que si un individu ne paye pas ses impôts, la Police l’arrêtera et un Juge l’enverra en prison. Mais, si demain, un million de personnes décident ne pas payer leurs impôts, elles n’iront pas en prison parce qu’on ne peut pas incarcérer un million de citoyens. La Police et l’Armée israéliennes ne pourront pas arrêter et envoyer en prison chaque Hassid qui refusera de s’enrôler dans Tsahal. La Knesseth adoptera certainement une nouvelle Loi pro­chaine­ment, mais celle-ci ne résoudra pas entièrement ce grand problème sociétal. Des mesures financières coercitives seront nécessaires pour inciter les Haredim à entrer sur le marché du travail et à servir sous les drapeaux, à l’instar des autres citoyens d’Israël.

C.J.N.: Ces mesures éco­no­miques di­sci­pli­naires, qui provoqueront indéniablement l’ire des ultra-orthodoxes, s’avéreront-elles efficaces?

Claude Klein: Des mesures semblables ont déjà été prises dans le passé. En 2003, lorsque Benyamin Netanyahou était Ministre des Finances, il coupa drastiquement les allocations sociales octroyées aux familles juives ultra-orthodoxes. Ces mesures éco­no­miques, qui suscitèrent la colère des ultra-orthodoxes, entraîna une baisse significative de la natalité dans les familles juives ultra-orthodoxes, qui jusque-là était explosive -chaque famille Haredi a en moyenne 7 à 8 enfants. On ne parle pas beaucoup en Israël de cette question parce que jusqu’ici elle était taboue. Des mesures économiques coercitives s’imposent de nouveau. Ainsi, si une Yéchiva n’encourage pas ses élèves à faire leur Service militaire, on lui coupera peu à peu ses vivres. Cette Institution toranique ne pourra pas continuer à fonctionner normalement sans l’aide financière que lui alloue le gouvernement israélien. Les fonds que les Yéchivot israéliennes recueillent auprès des Communautés de la Diaspora juive sont insuffisants pour leur permettre d’être autonomes financièrement.

C.J.N.: Les Partis ultra-orthodoxes, qui ont été exclus de la nouvelle coalition gouvernementale mise sur pied par Benyamin Netanyahou, s’opposeront certainement très rudement à ces mesures économiques qu’ils qualifient de “punitives”.

Claude Klein: Les ultra-orthodoxes ont été les grands perdants des dernières élections législatives israéliennes. Les Partis ultra-­ortho­doxes, notamment le Shass, sont sortis très affaiblis de cette consultation électorale. Il faudra aussi que les leaders de ces Communautés juives ultra-­ortho­doxes réforment en profondeur le Système éducatif dans lequel les jeunes de ces Communautés sont éduqués. Dès l’âge de 7 ou 8 ans, les enfants de ces Communautés ultra-orthodoxes fréquentent le Heder -École religieuse. Ces der­niers n’apprennent ni les mathématiques, ni les sciences, ni l’anglais, ni l’Histoire… À l’âge de 15, 16 ou 17 ans, ils poursuivent leurs études dans une Yéchiva. Ils sont inaptes à acquérir une formation éducative qui leur permettrait plus tard d’apprendre un métier et d’intégrer ensuite le marché du travail. Les Rabbins de ces Communautés ultra-orthodoxes s’es­criment à perpétuer ce Système éducatif tétanisé. Il n’est écrit nulle part dans la Torah qu’il est interdit à un Juif d’apprendre les mathématiques, les sciences, l’Histoire, une langue étrangère… Les leaders rabbiniques ultra-orthodoxes tiennent mordicus à ce que les jeunes de ces Communautés vivent reclus dans un monde autarcique, n’ayant quasi aucun contact avec le monde extérieur.  C’est pourquoi ces Rabbins ultra-orthodoxes refusent catégoriquement que les Hassidim âgés de 18 ans fassent un Service militaire ou civil parce que, d’après eux, ça signifierait que ces jeunes seraient soudainement confrontés à quelque chose qu’il exècrent profondément: la société moderne.

C.J.N.: Cette nouvelle coalition gouvernementale n’est-elle pas plus fragile que celle que Benyamin Netanyahou a dirigée pendant les quatre dernières années?

Claude Klein: Oui. C’est à contrecoeur que Benyamin Netanyahou a formé cette coalition gouvernementale sans les Partis ultra-orthodoxes. Il est bien conscient de la grande fragilité de celle-ci. En effet, cette coalition gouvernementale peut tomber du jour au lendemain. Il suffit que Yaïr Lapid se réveille un matin du mauvais pied pour que celle-ci im­plose. Le Parti de Yaïr Lapid, Yesh Atid, qui a été le grand vainqueur des dernières élctions, détient 19 sièges, soit un sixième des sièges de la Knesseth. C’est énorme. Idem pour Naftali Bennett, dont le Parti a obtenu 12 sièges lors des dernières élections. Si Yaïr Lapid ou Naftali Bennet quittent la coalition, celle-ci ne pourra plus gouverner car elle ne disposera plus d’une majorité à la Knesseth. C’est pourquoi, bon nombre d’observateurs avertis de la scène politique israélienne ne croient pas que la coalition gouvernementale que vient de mettre sur pied Benyamin Netanyahou pourra gouverner jusqu’à la fin de la législature, c’est-à-dire pendant quatre ans.

C.J.N.: Quel est le poids électoral réel des Arabes israéliens?

Claude Klein: Il y a une “palestinisation” et aussi une “israélisation” des Arabes israéliens. Ces deux courants contradictoires se sont manifestés lors des élections législatives du 22 janvier dernier. Le taux de participation des Arabes israéliens à ces élections a été de 55%. Ces derniers votent de moins en moins. Pourquoi? Les Arabes israéliens invoquent deux raisons antinomiques. Première raison: “Israël, ce n’est pas chez nous. Les élections israéliennes ne nous regardent pas. Celles-ci ne changeront rien à notre vie. La démocratie israélienne n’est qu’un leurre pour les Arabes”, disent un bon nombre d’Arabes Israéliens. Deuxième raison invoquée, aux antipodes du premier argument avancé: beaucoup d’Arabes israéliens ne votent pas parce qu’ils estiment qu’au lieu de défendre leurs intérêts, les députés Arabes qui les représentent à la Knesseth préfèrent plaider ardemment la cause des Palestiniens de la Cisjordanie et de Gaza.

La force électorale, sous-utilisée jusque-là, des Arabes israéliens est énorme. Si lors des prochaines élections, dans quatre ans, tous les Arabes israéliens vo­taient, ils feraient élire à la Knesseth 22 députés -10 députés arabes siégeront dans la nouvelle Knesseth. Lors des élections du 22 janvier dernier, l’après-midi, lorsque les représentants des Partis arabes se rendirent compte que la participation des électeurs arabes était assez faible, ils lancèrent un vigoureux appel à ces derniers pour essayer de les mobi­li­ser. “C’est à cause de vous que Netanyahou va être réélu. Allez voter!”, martelèrent-ils jusqu’à la fermeture des Bureaux de vote. Ils avaient raison. Si les Arabes israéliens avaient été plus nombreux à voter, Benyamin Netanyahou aurait eu beaucoup plus de difficulté à former une coalition gouvernementale viable. 22 députés Arabes sur 61 députés -le nombre minimal de sièges pour avoir la majorité à la Knesseth-, ça fera toute une différence. Les Arabes israéliens ont un poids électoral important, qu’ils n’ont pas encore utilisé. Leur poids démographique ne cesse aussi d’augmenter.

 

In an interview when he was in Montreal recently, Israeli lawyer and political pundit Claude Klein talks about the new Israeli government coalition.