Mein Kampf un best-seller planétaire

Antoine Vitkine

Bréviaire de la haine nazie, Mein Kampf est aujourd’hui un best-seller planétaire. Ce manifeste nationaliste et féroce­ment antisémite reste d’une actualité brûlante en cette deuxième décennie du XXIe siècle, rappelle le journaliste français Antoine Vitkine dans un livre-enquête passionnant, mais très troublant -Mein Kampf. Histoire d’un livre (Éditions Flammarion).

L’intérêt pour Mein Kampf ne se dément pas, a constaté Antoine Vitkine tout au long de la vaste enquête très pointilleuse qu’il a consacrée à ce brûlot judéophobe écrit par Adolf Hitler en 1924-1925, pen­dant son emprisonnement dans la Forteresse de Landsberg.

“Mein Kampf est aujourd’hui publié et vendu dans le monde entier, sous des formes intégrales ou abré­gées. À l’échelle mondiale, si l’on cumule les chiffres des ventes, ce plai­do­yer de l’extrémisme nazi fait figure de véritable best-seller. Sur le site américain Amazon, Mein Kampf est l’un des livres les plus commentés par les lecteurs. Le phénomène Mein Kampf est même arrivé jusqu’en Mongolie, petit pays de 2,8 millions d’habitants, qui n’a pas d’Histoire commune avec la vieille Europe. Dans les pays occidentaux, l’intérêt pour Mein Kampf ne cesse aussi de croître. Pour la première fois depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la Bavière, Land détenant les droits de publication de Mein Kampf, vient d’autoriser la réédition en allemand de ce brûlot antisémite. Assortie de commentaires d’historiens, cette édition sera publiée d’ici à 2015, après des années de débats acharnés. Les Allemands pourront alors acheter en toute liberté dans les librairies une nouvelle édition de ce livre en langue allemande”, précise Antoine Vitkine en entrevue.

Comment expliquer la popularité de Mein Kampf dans des pays aussi divers que l’Inde, la Russie, l’Argentine, la Corée du Sud, le Japon, l’Australie…?

“L’une des idées universelles, intemporelles, que véhicule Mein Kampf est l’ultranationalisme, dont les principes sont: l’unité mythique du peuple et du corps social, la pureté ethnique, l’exclusion de l’Autre -l’étran­ger, le minoritaire, le rival-, la glorification et la puissance. Hitler évoque dans ce livre la revanche future contre les humiliations militaires ou géopolitiques, tout en dé­ve­lop­pant une paranoïa à l’égard du monde environnant décadent, qui a perdu toutes ses valeurs. Quiconque se reconnaît dans ces idées peut, comme les tenants Indiens ou Russes d’un ultranationalisme échevelé, trouver dans Mein Kampf un bréviaire utile”, explique Antoine Vitkine.

En Turquie, le pays musulman le plus laïque, Mein Kampf fait un tabac, a observé Antoine Vitkine.

“Depuis plusieurs années, la Turquie est le pays où Mein Kampf se vend le mieux au monde. Récemment, deux nouvelles éditions se sont écoulées en quelques mois à 80000 exemplaires. C’est énorme. Selon le décompte effectué par un chercheur de l’Université d’Istanbul, Rifaat Bali, pas moins de 30 éditions différentes de ce manifeste très antisémite ont été publiées entre 1939 et 2000. Mein Kampf figure aujourd’hui au catalogue de 11 éditeurs turcs. Cet engouement des Turcs pour le bréviaire antisémite d’Hitler a une explication: en Turquie, comme dans la majorité des pays musulmans, anti­améri­ca­nisme, antisionisme radical et antisémitisme vont de pair. Ainsi, les attaques véhémentes contre l’Amérique se terminent souvent par la dénonciation du “complot sioniste”. L’image d’une Amérique entièrement soumise aux Juifs, “bras armé des Juifs et d’Israël”, ne date pas d’hier. La Turquie est également sensible à l’une des principales thèses véhiculées par Mein Kampf: le mythe d’un complot contre le pays. Un complot intérieur, que l’on impute à la minorité Kurde -voire Arménienne, Grecque ou Juive -, aux Chrétiens, aux missionnaires Évan­gé­listes… et un complot extérieur, fomenté par l’Amérique avec l’appui inconditionnel d’Israël.”

D’après Antoine Vitkine, les islamistes ne sont pas de grands adeptes de Mein Kampf. Ce constat n’est-il pas surprenant?

“Pour les islamistes, très soucieux de l’orthodoxie de leurs références idéologiques, se méfiant de tout ce qui échappe au cadre strict de l’uni­vers islamique, moins perméables donc aux influences extérieures que les nationalistes arabes, Mein Kampf reste un livre extrêmement marginal. Le corpus idéologique des islamistes est déjà constitué, il est très fort. Ces derniers n’ont pas besoin d’autres textes de référence pour justifier leurs idées, leurs politiques, voire leurs attentats terroristes. L’obsession des islamistes, c’est la légitimité de leurs références. C’est pour cela qu’ils s’appuient uniquement sur le Coran, qui, à leurs yeux, est le texte légitime par excellence. Cependant, comme Hitler, les idéologues nationalistes arabes et les hérauts de l’islamisme se réclament aussi des Protocoles des Sages de Sion, un faux document concocté de toutes pièces au XVIIIe siècle par la police du Tsar de Russie. S’appuyant sur ces Protocoles antisémites, les Chartes du Hamas et des Frères Musulmans dénoncent “une conspiration juive pour ébranler les sociétés, détruire les valeurs, corrompre les consciences, détériorer le caractère de l’islam et l’annihiler”.”

Dans les milieux scolaires, Mein Kampf est-il un atout pédagogique?

“Oui. Aujourd’hui, les néonazis ressassent l’argument invoqué dans les années 40 par Hitler et ses séides pour attaquer les pays européens et persécu­ter les Juifs, à savoir que l’Allemagne devait se défendre car elle était victime d’un complot sciemment planifié par les Juifs et leurs alliés occidentaux. Or, Mein Kampf met en charpie cette thèse fallacieuse, dit Antoine Vitkine. Les idées raciales, antisémites et belliqueuses étayées par Hitler dans ce pavé natio­naliste furent écrites en 1923, bien avant l’arrivée des nazis au pouvoir. Ce livre prouve donc qu’Hitler avait dès le début des desseins macabres et diaboliques. Pour les nouvelles générations, Mein Kampf est un outil pédagogique de compréhension et de réflexion, très utile pour éviter que l’Histoire ne se répète. En Allemagne, l’initiative de publier d’ici à 2015 une version “péda­go­gique” de Mein Kampf est saluée par la Communauté juive de ce pays, qui y voit un moyen de “démythifier” ce livre maladivement antisémite.”

Journaliste, écrivain et réalisateur de documentaires pour la Télévision, Antoine Vitkine a réalisé, en 2007, Mein Kampf, c’était écrit, diffusé sur la Chaîne de Télévision Arte et, en 2011, un documentaire très remarqué sur la Libye de Mouammar Kadhafi -Kadhafi mort ou vif, sur les coulisses de la guerre en Libye. Antoine Vitkine est également l’auteur d’un excellent essai sur les Théories du complot, Les Nouveaux imposteurs (Éditions de la Martinière, 2005).

 

In an interview and in his book, French journalist Antoine Vitkine talks about Adolf Hitler’s Mein Kampf – its popularity worldwide for so many years and how it can be used as an educational tool.