Les grands enjeux des élections israéliennes

Marius Schattner (à gauche), ancien correspondant du journal français Libération et de l’Agence France Presse à Jérusalem, et Peggy Cidor, journaliste au quotidien The Jerusalem Post.

Quels sont les principaux enjeux des élections législatives israéliennes du 22 janvier prochain?

Nous avons posé cette question à deux journalistes Israéliens, Peggy Cidor, journaliste au quotidien The Jerusalem Post, et Marius Schattner, ancien correspondant en Israël du journal français Libération et de l’Agence France Presse (A.F.P.). Marius Schattner est l’auteur de deux excellents livres sur Israël: Histoire de la Droite israélienne. De Jabotinsky à Shamir  (Éditions Complexe, 1991) et Israël l’autre conflit. Laïcs contre religieux (Éditions André Versaille, 2009).

Peggy Cidor et Marius Schattner ont participé aux deux Colloques internationaux organisés par le Centre d’Études juives francophones contemporaines A.L.E.P.H. de la Communauté sépharade unifiée du Québec, fondé et dirigé par Sonia Sarah Lipsyc, dans le cadre du Pré-Festival Séfarad 2012.

Canadian Jewish News: La menace nucléaire iranienne est-elle l’un des principaux enjeux des élections du 22 janvier?

Peggy Cidor: Oui. La menace nucléaire iranienne est la principale carte jouée à fond dans cette élection par Benyamin Netanyahou. Ce dernier est très peu loquace sur une question qui devrait être la priorité des priorités et qui préoccupe beaucoup la grande majorité des Israéliens: les inégalités sociales et la pauvreté qui sévit dans des couches importantes de la société israélienne. Je ne veux pas minimiser la menace iranienne, ou la rendre totalement marginale, mais celle-ci est instrumentalisée par Benyamin Netanyahou et les autres ténors de la droite israélienne.

Ce qui me révolte profondément dans cette sinistre Affaire, c’est le mutisme des nations occidentales civilisées face aux déclarations antisémites et génocidaires du Président iranien, Mahmoud Ahmadinejad. L’Occident demeure passible lorsque cet islamiste obtus déclare sans la moindre gêne que “le peuple juif est un peuple de microbes qu’il faut absolument exterminer”. Ce qui est beaucoup plus grave à mes yeux, c’est que les menaces proférées par Ahmadinejad à l’endroit d’Israël, même si ce dernier n’a pas les moyens de les mettre à exécution, exacerbent le sentiment d’insécurité des Israéliens, qui se sentent souvent acculés au mur. Même s’ils savent qu’Israël est un État puissant militairement capable de se défendre contre la menace nucléaire iranienne, les Israéliens ont trop souvent des réflexes qui rappellent ceux des Juifs pendant la Deuxième Guerre mondiale. Ces derniers ne voient pas d’issue et se sentent souvent acculés au mur. Les Israéliens partagent tous une espèce de psychose. C’est pourquoi ils ont souvent des réactions disproportionnées.

Marius Schattner: Le plus grand défi auquel Israël est confronté aujourd’hui n’est certainement pas la menace nucléaire iranienne mais la poursuite de l’occupation israélienne des Territoires palestiniens. C’est la question fondamentale qui taraude la société israélienne depuis 1967. Le grand paradoxe c’est qu’on parle très peu dans cette élection de cette question cruciale pour l’avenir d’Israël. Il y a deux ans, Ehoud Barak, Ministre de la Défense dans le dernier gouvernement dirigé par Benyamin Netanyahou, a déclaré qui si la situation actuelle se perpétue, Israël deviendra un État d’apartheid. On ne voit aucune perspective d’un retrait israélien de la Cisjordanie même dans le cadre d’un éventuel accord de paix avec les Palestiniens. La solution de deux États s’éloigne chaque jour un peu plus. Or, cette solution est la base de tout compromis. S’il n’y a pas deux États, il n’y a aura pas 36 solutions! Ou bien les Israéliens acceptent de vivre dans un État qui à long terme ne sera plus un État juif ou bien ils devront vivre dans un État qui ne sera pas démocratique. Le problème c’est qu’aujourd’hui les Israéliens n’ont plus l’ethos de la colonisation, ni de la paix. Ils ne se font plus plus d’illusions  sur la possibilité de parvenir à conclure prochainement une paix viable avec une Autorité Palestinienne chaque jour plus affaiblie au détriment d’un Hamas beaucoup plus coriace.

C.J.N.: Donc, l’avenir des colonies n’est plus un sujet de préoccupation majeur pour une majorité d’Israéliens?

Peggy Cidor: Aujourd’hui, la majorité des Israéliens s’ent foutent comme de l’an 40 des colons et des colonies sises en Cisjordanie. On a vu ce profond désintérêt pour les colonies pendant les manifestations organisées par les colons et le Mouvement sioniste religieux avant le retrait d’Israël de Gaza, en 2005. Les colons ont manifesté seuls. Même ceux qui à priori ne sont pas contre les colonies ne les ont pas soutenus dans cette rude épreuve. La majorité des Israéliens sont indifférents au sort des colonies juives de la Cisjordanie. Si on arrive à leur faire comprendre que ces colonies mettent en danger, autant  que les menaces iraniennes, la pérennité de l’ État d’Israël, peut-être qu’ils se réveilleront. Pour le moment, ils ne sont pas conscients de l’enjeu capital de ces colonies. Cette indifférence des Israéliens envers les colonies édifiées en Cisjordanie s’explique aussi par le fait qu’on s’est aperçu que les colons qui dans les années 70 et 80 étaient considérés par beaucoup d’Israéliens comme les continuateurs de l’oeuvre bâtie par pères fondateurs d’Israël vivent aujourd’hui dans des villas cossues qu’ils ont construites dans ces colonies. Ces derniers n’habitent plus dans des petites caravanes préfabriquées. Des mythes tenaces sont en train d’imploser!

C.J.N.: Cette élection pourrait-elle réserver quelques surprises à l’électorat israélien où les cartes sont-elles déjà toutes jouées?

Peggy Cidor: Tous les sondages sont très clairs. Benyamin Netanyahou, en s’appuyant sur les partis de droite et d’extrême droite, sera le seul candidat dans cette élection au Poste de Premier ministre d’Israël apte à former une coalition gouvernementale viable. Il n’y a pas une autre alternative. Cependant, le retour en force d’Arié Déri à la tête du parti ultra-orthodoxe sépharade Shass affaiblira électoralement le parti de Netanyahou, le Likoud. Politicien très populaire et charismatique, Arié Déri va de nouveau rendre le parti Shass attrayant pour beaucoup de Sépharades sensibles aux questions sociales, qui ne sont pas nécessairement des ultra-orthodoxes, qui ont voté pour le Likoud lorsque le Shass était dirigé par Élie Yishaï.

Marius Schattner: Le Shass obtiendra peut-être dans cette nouvelle élection un ou deux sièges de plus à la Knesseth -ce parti détenait 11 sièges à la dernière législature. Cependant, le grand chagement, c’est qu’Arié Déri n’est pas un idéologue intransigeant lié intrinsèquement à la droite et à l’extrême droite israéliennes. C’est ce qui le différencie de son prédécesseur, Élie Yishaï. La principale carte électorale du Shass est la question sociale. Il faut rappeler que les leaders du Shass ont toujours voté en fonction de la vox populi. En 1993, ce parti ultra-orthodoxe s’était abstenu lors du vote à la Knesseth sur les Accords d’Oslo et, en 2005, le Shass ne s’est pas opposé à la décision du gouvernement d’Ariel Sharon de procéder à un retrait d’Israël de Gaza. Peggy Cidor a raison lorsqu’elle dit que le grand paradoxe dans cette élection est que malgré un affaiblissement considérable du poids électoral du Likoud, il n’y a pas une autre alternative. Benyamin Netanyhou, en tablant sur le soutien des partis de droite et d’extrême droite, est le candidat le mieux positionné pour former une coalition gouvernementale fonctionnelle.

 C.J.N.: Est-ce le signe d’une radicalisation politique de la société israélienne?

Marius Schattner: Sans aucun doute. La société israélienne s’est considérablement droitisée ces dernières années. Il y a aujourd’hui dans la population israélienne quatre groupes qui votent de plus en plus à droite. 1er groupe: les immigrants originaires de l’ex-URSS. La majorité de ces olims Russes sont très réfractaires au langage de la gauche israélienne et aux droits de l’homme. Ces derniers ont une conception des Arabes analogue à celle que les Russes ont des Tchétchènes. 2ème groupe: les Juifs ultra-orthodoxes. Les sondages montrent que ces derniers sont de plus en plus nombreux à voter non pas pour des partis ultra-orthodoxes mais pour des partis d’extrême droite. Ce n’est pas dans les colonies juives de la Cisjordanie où le parti raciste Kach, fondé par le très controversé Rabbin Américain feu Meïr Kahane, a réalisé son meilleur score électoral, mais à Kfar-Habad, bastion du hassidisme Loubavitch. 3ème groupe: les Juifs originaires des pays arabes, traditionnellement opposés aux concessions territoriales aux Palestiniens.  Ces Sépharades, qui jusqu’à aujourd’hui constituent la base populaire du Likoud, n’ont pas un souvenir merveilleux de la coexistente judéo-arabe en Terre d’Islam. 4ème groupe: les jeunes nés en Israël. La majorité de ces jeunes ne font aucune distinction entre Israël et les Territoires palestiniens occupés depuis 1967.  Les Israéliens reprochent souvent aux Palestiniens de gommer de leurs cartes géographiques l’Israël d’avant 1967. Mais Israël l’a aussi effacé de ses cartes officielles. Il est très difficile de trouver aujourd’hui des cartes officielles d’Israël d’avant 1967.

C.J.N.: Qu’est-ce que les Israéliens peuvent attendre de ces nouvelles élections?

Peggy Cidor: Les seules élections qui ont changé quelque chose de fondamental dans la société israélienne ont été celles de 1977 quand, pour la première fois, la droite israélienne, sous la gouverne de feu Menahem Begin, fut massivement élue pour diriger le pays. Ce fut une véritable révolution dont les retentissements continuent encore à se faire sentir aujourd’hui. Je vois mal comment les élections du 22 janvier, qui ont été déclenchées par Benyamin Netanyahou pour renforcer sa position personnelle et son pouvoir dans l’arène politique israélienne, pourraient augurer des changemnents majeurs au niveau politique, économique ou social. La seule chose qui pourrait faire bouger la société israélienne, c’est si un événement dramatique ou très lourd de conséquences se produisait: le Président Barack Obama qui déciderait de régler une fois pour toutes ses comptes avec Benyamin Netanyahou -scénario très peu plausible-: une attaque inopinée de l’Iran…  Il est très peu probable qu’il y ait une troisième Intifada palestinienne. Je rencontre beaucoup de Palestiniens à Jérusalem-Est. Ces derniers sont fatigués après tant d’années stériles d’affrontements meurtriers avec Israël. Il y aura sûrement d’autres actes de violence qui seront perpétrés  par des Palestiniens, mais je ne crois pas qu’il y aura une nouvelle Intifada. La formule de la grenouille et l’eau bouillante s’applique parfaitement à l’état d’esprit actuel de la société israélienne. Si la grenouille est déjà dans une casserole et que l’eau chauffe,  elle ne se rendra pas compte. Mais, si vous plongez une grenouille dans de l’eau bouillante, elle sortira tout de suite de la casserole parce qu’elle se rendra compte qu’elle est en danger!

Marius Schattner: Chose certaine: les élections législatives du 22 janvier ne régleront absolument rien. Par contre, Benyamin Netanyahou et sa nouvelle équipe gouvernementale seront confrontés à de dures épreuves: une entrée en récession de l’économie israélienne -les principaux indicateurs économiques commencent à être dans le rouge-; un durcissement politique de l’Autorité Palestinienne; des pressions lancinantes des Européens et des Américains pour que le gouvernement Netanyahou donne un coup de frein à sa politique de colonisation… On s’achemine vers un pourrissement général de la situation. Par ailleurs, Israël devra aussi composer avec deux facteurs inquiétants du côté palestinien: un grand rejet de l’Autorité Palestinienne par la population palestinienne de la Cisjordanie pour qui Mahmoud Abbas est un politicien très discrédité et la situation économique en Cisjordanie qui ne cesse de se dégrader. Les perspectives sont plutôt sombres.

In an interview, Israeli journalists Peggy Cidor and Marius Schattner talk about the issues in the upcoming election in Israel.