La reconnaissance internationale de l’État palestinien

Élie Barnavi. Photo: Arnaud Février-Flammarion

La reconnaissance officielle par de nombreux Parlements de l’État palestinien n’aura aucun impact politique dans l’immédiat. 

 “Ce ne sera pas par le biais de cette voie qu’un État palestinien indépendant verra le jour”, estime un spécialiste reconnu du conflit israélo-palestinien, l’historien et politologue israélien Élie Barnavi.

Mais, s’empresse-t-il d’ajouter, cette “tendance parlementaire irréversible va faire boule de neige et finira par avoir un impact politique important qu’Israël ne pourra pas éluder”. 

“L’effet cumulé de cette initiative politique sera néfaste à la longue parce que dans une démocratie l’avis des Parlements compte beaucoup car ils expriment l’opinion générale des opinions publiques. Aujourd’hui, dans l’épineux Dossier de la reconnaissance de l’État palestinien, ce que les Parlements suédois, espagnol, portugais, britannique, allemand, italien… font, c’est exprimer le consensus international sur cette question. Tout cela finira par avoir un impact. D’autant plus que les Palestiniens préparent aussi d’autres gestes diplomatiques”, explique Élie Barnavi en entrevue depuis Tel-Aviv.

L’Administration de Barack Obama ne pourra pas faire fi de ce large processus de reconnaissance internationale de l’État palestinien, ajoute Élie Barnavi.

“Ce qui intéresse les Israéliens en premier lieu, c’est de savoir quelle sera la position des États-Unis dans ce Dossier sulfureux? Pour les Israéliens, c’est indéniablement la question la plus importante parce qu’ils savent pertinemment que seuls les Américains ont une réelle capacité d’action. Et, la défaite cuisante que Barack Obama vient de subir lors des élections américaines de mi-mandat pourrait inciter ce dernier à agir là où il peut encore agir, à un moment où il n’a plus grand-chose à perdre. Barack Obama est conscient qu’il ne lui reste plus que deux années pour laisser une griffe ostensible sur le visage de notre époque.”

Professeur émérite d’Histoire de l’Occident moderne de l’Université de Tel-Aviv, Ambassadeur d’Israël en France de 2000 à 2002 -au moment de la seconde Intifada palestinienne et ex-Directeur scientifique du Musée de l’Europe, établi à Bruxelles, Élie Barnavi est l’auteur de plusieurs essais très remarqués sur l’Histoire du conflit israélo-arabe et les guerres de religion, dont Une histoire moderne d’Israël; Israël-Palestine, une guerre de religion?; Les religions meurtrières; Aujourd’hui ou peut-être jamais. Pour une paix américaine au Proche-Orient … 

Il vient de publier aux Éditions Flammarion -Collection “Café Voltaire”- un remarquable essai de réflexion sur la guerre, intitulé Dix Thèses sur la guerre.

Dans ce livre percutant, Élie Barnavi entremêle avec brio ses vues personnelles, fondées sur son expérience du front en tant que citoyen-soldat d’Israël, et sa profonde connaissance des guerres médiévales, sujet dont il est un spécialiste chevronné. Il aborde frontalement des questions anciennes, mais toujours d’une grande actualité: comment un intellectuel devient-il un soldat prêt à tuer? Comment s’opère ce conditionnement? Pourquoi les guerres asymétriques ont-elles pris le pas sur les guerres conventionnelles? La guerre est-elle une fatalité inéluctable?

Pour Élie Barnavi, seule une “intervention vigoureuse”  des États-Unis pourra contraindre les Israéliens et les Palestiniens à “un compromis historique, nécessaire à leur survie”. Car, avertit-il, “ce qui est encore possible aujourd’hui ne le sera plus nécessairement demain”.

Les Américains, soutenus par les Européens et la Communauté internationale, devront, “tôt ou, malheureusement, tard”, intervenir pour “imposer une solution négociée” aux Israéliens et aux Palestiniens.

Sincèrement, et je ne suis pas le seul à le penser, je ne vois pas une autre issue. La paix entre Israël et les Palestiniens devra être imposée par Barack Obama ou un autre Président américain. C’est de cette manière que se terminent les conflits asymétriques. Si vous laissez faire dans une guerre de ce type et de cette intensité destructrice les protagonistes de celle-ci, ils iront jusqu’au bout de leur logique: la destruction totale de l’adversaire. Seule une intervention extérieure pourra mettre un terme à ce conflit endémique. C’est ce qui s’est passé par exemple en ex-Yougoslavie.”

Quand vous êtes aux prises avec un conflit asymétrique revêtant toutes les caractéristiques d’une guerre civile avec en surplus une dimension religieuse, le seul moyen d’y mettre un terme, c’est via l’intervention d’une tierce partie. 

“Le conflit israélo-palestinien exaspère de plus en plus le monde entier, y compris les principal Allié d’Israël, les États-Unis. Ce contentieux, dont la charge symbolique est très forte, a une capacité de nuisance importante. Vous voyez ce qui se passe aujourd’hui à Jérusalem autour du Mont du Temple. C’est effrayant! Il y a là un potentiel de guerre de religion épouvantable. Ce conflit a aussi des incidences majeures à l’extérieur d’Israël et de la Palestine. Particulièrement dans les pays européens, où vivent d’importantes Communautés musulmanes. Il est urgent de maîtriser ce conflit ravageur avant qu’il ne devienne complètement une guerre de religion.”

Selon Élie Barnavi, tant du côté israélien que du côté palestinien, les perspectives politiques sont “très sombres”.

“Ne nous leurrons pas! Le gouvernement de Benyamin Netanyahou n’a pas la moindre intention de négocier quoi que ce soit avec les Palestiniens.”

La coalition gouvernementale dirigée par Benyamin Netanyahou ne tiendra pas jusqu’au bout de la législature. Il y aura, très probablement, dans quelques mois des élections en Israël. Tout le monde s’accorde sur cette conjecture, dit-il.

“Mais, même s’il y a de nouvelles élections, il ne faut pas s’attendre à un grand changement parce qu’il n’y a pas de véritable alternative. La question de savoir ce qui se va passer en Israël n’est pas importante. À mes yeux, ce qui est le plus important, c’est ce qui va se passer à Washington. En effet, quel que soit le gouvernement au pouvoir à Jérusalem, il ne pourra pas s’opposer à une décision ferme des Américains tout simplement parce que les États-Unis sont le seul véritable Allié d’Israël. Les Israéliens ne pardonneront jamais à leur gouvernement de les couper complètement de l’Amérique, qu’ils considèrent comme un Partenaire vital. C’est pour cela que je conseille à tout le monde de regarder du côté de Washington plutôt que du côté de Jérusalem ou de Ramallah.”

De l’autre côté, le leadership palestinien souffre d’un grand discrédit aux yeux du peuple palestinien. Mahmoud Abbas n’est pas “un leader charismatique capable de montrer à son peuple qu’il a l’étoffe pour prendre des décisions historiques”, constate Élie Barnavi.

Et, ce n’est pas du jour au lendemain qu’émergera “un leadership alternatif palestinien”.  

“On n’a pas le temps d’attendre dix ou quinze ans pour qu’un nouveau leadership palestinien apparaisse et fasse ses preuves.”

C’est le temps d’agir car la situation sur le terrain se détériore de jour en jour,  estime Élie Barnavi. 

“Ce n’est pas parce que les deux adver-saires sont faibles et prisonniers de leurs idéologues qu’ils ne peuvent pas négocier eux-mêmes utilement. C’est pour ça qu’on a besoin d’une tierce partie. On ne peut pas attendre qu’un hypothétique nouveau leadership éclose du côté palestinien et du côté israélien. Il vaut mieux tabler incessamment sur une intervention étrangère, en l’occurrence américaine, sinon on risque d’attendre longtemps, et ce sera trop tard."