Quel a été pour Israël le coût de la Guerre à Gaza?

Jacques Bendelac

Quel a été pour Israël le coût économique de la dernière guerre à Gaza contre le Hamas?

“Comparée aux conflits précédents avec la bande de Gaza, la dernière guerre contre le Hamas a eu trois caractéristiques. Premièrement, elle a été particulièrement longue: 50 jours. Deuxièmement, ce conflit s’est déroulé en plein milieu de l’été, c’est-à-dire durant la période de l’année la plus touristique pour Israël. Troisièmement, cette guerre s’est déclenchée alors que l’éco-nomie israélienne se trouvait déjà dans une phase de récession. Ces facteurs ont alourdi le coût de la guerre pour le budget de l’État et aggravé les pertes pour l’économie israélienne”, explique Jacques Bendelac, Économiste à Jérusalem, qui a affablement répondu à nos questions par e-mail.

Chroniqueur au Site Web d’Information économique IsraelValleywww.israelvalley.com-, Jacques Bendelac est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’économie et la société israéliennes. Dernier ouvrage paru: Israël-Palestine, demain deux États partenaires? (Éditions Armand Colin, 2012). Un excellent essai sur les perspectives des relations politiques et économiques entre Israël et les Palestiniens.

D’après Jacques Bendelac, la facture globale des 50 jours de conflit avec le Hamas à Gaza se monte à environ 15 milliards de shekels, soit 4,3 milliards de dollars US. 

Ce coût se ventile en trois postes: les dépenses militaires (9 milliards de shekels ou 2,6 milliards de dollars US), la baisse de production (autour de 5 milliards de shekels ou 1,4 milliard de dollars US) et les dégâts matériels civils (1 milliard de shekels ou 0,3 milliard de dollars US). 

En prenant en compte que la baisse de production -qui représente 0,5% du Produit Intérieur Brut (PIB)- sera récupérée plus tard et que les dégâts matériels, assez limités, seront financés par le Fonds public d’Indemnisations prévu à cet effet, il reste à régler la note militaire. Celle-ci représente 15% du budget israélien de la Défense, qui se monte à environ 60 milliards de shekels en 2014 (17 milliards de dollars US), précise Jacques Bendelac. 

“Il faut aussi signaler que la perte de PIB se concentre sur certains secteurs de l’activité qui ont été frappés de plein fouet par la guerre, comme le tourisme étranger et le commerce”, ajoute-t-il.

Le coût financier de la dernière guerre aura-t-il des répercussions négatives sur le taux de croissance de l’économie israélienne en 2015?

“Il ne fait pas de doute qu’en 2015, l’économie israélienne sera différente de celle qu’elle aurait été si cette guerre n’avait pas eu lieu. L’économie israélienne présentait déjà des signes d’affaiblissement en 2014. Le coût de la guerre à Gaza accentuera ce ralentissement en 2015. Si les deux principaux moteurs de la croissance économique israélienne, la consommation des ménages et les exportations, se sont affaiblis avant la guerre, la politique de coupes budgétaires liées à la guerre ne permettra pas un redémarrage rapide de l’économie l’an prochain.”

Selon les dernières estimations officielles, la croissance du PIB israélien sera de 2% seulement en 2014. Pour 2015, la croissance reviendra à 3%, mais ce sera grâce à l’exploitation de nouveaux gisements de gaz, qui contribuera pour un point du PIB, indique Jacques Bendelac. 

“On reste donc très loin du potentiel de croissance économique observé en 2010 (5,8%) et même en 2011 (4,2%)”, constate-t-il.

Les impôts des Israéliens seront-ils augmentés pour financer cette guerre?

“Lors de son élection l’an dernier, le gouvernement israélien s’était engagé à ne pas augmenter les impôts et même à abaisser la pression fiscale. Malgré la guerre, le Ministre des Finances, Yaïr Lapid, veut respecter la promesse faite aux électeurs. Le gouvernement a donc choisi délibérément de ne pas augmenter les impôts pour financer le coût de la guerre de cet été. Autrement dit, les dépenses exceptionnelles causées par ce conflit seront financées par la baisse des dépenses civiles et par le déficit public.” 

Dès la fin du conflit à Gaza, le gouvernement de Benyamin Netanyahou a voté pour 2014 une première coupe transversale dans tous les budgets civils, à hauteur de 2% des dépenses publiques. De même, en 2015, le déficit sera relevé à 3,4% du PIB israélien, au lieu des 2,5% prévus, indique Jacques Bendelac. 

“Le gouvernement va donc tenir ses promesses de ne pas augmenter la charge fiscale l’an prochain. Celle-ci devrait même diminuer puisque le Trésor israélien entend supprimer les 18% de TVA sur les logements neufs destinés aux jeunes couples.”

Le financement de cette guerre remettra-t-il en question les réformes sociales destinées à améliorer les conditions de vie des couches les plus démunies de la société israélienne ? 

“À la veille de Rosh Hashana, le gouvernement israélien a décidé d’accorder à la Défense une rallonge de 8 milliards de shekels (2,3 milliards de dollars US) pour remplacer le matériel perdu durant la guerre de l’été 2014, et une autre rallonge de 6 milliards de shekels en 2015 (1,7 milliard de dollars US) pour moderniser le Système de Défense d’Israël. Ce sont des budgets assez lourds qui seront détournés des dépenses civiles pour être consacrés à des dépenses militaires. Or, en préférant couper dans les dépenses civiles plutôt que d’augmenter les impôts, le gouvernement israélien va faire peser une grande partie du coût de la dernière guerre sur les Israéliens les plus défavorisés. En effet, une coupe budgétaire de 2% dans les dépenses civiles touchera principalement les dépenses sociales, comme l’Éducation, la Santé et les Affaires sociales. Autrement dit, les Services publics vont être réduits et seuls les Israéliens les plus riches pourront se permettre d’acheter sur le marché privé des Services qui ne seront plus fournis par l’État.”

À défaut de crédits suffisants, ajoute Jacques Bendelac, “les grandes Réformes sociales prévues pour 2015 pourraient être remises au placard”.

D’abord, le Plan anti-pauvreté recommandé par la Commission Elalouf, qui aurait dû permettre de réduire le nombre d’Israéliens qui vivent en dessous de la ligne de pauvreté -celle-ci concerne aujourd’hui 1,8 million d’Israéliens, soit 24% de la population. Ensuite, la Réforme de l’Assurance-maladie, préparée par la Commission Guerman, qui visait à alléger le coût des mutuelles de santé assumé par les familles les plus défavorisées. De même, des gros chantiers d’infrastructures en cours, comme la construction de chemins de fer et de routes, risquent aussi d’être ralentis ou repoussés à plus tard.

“En définitive, on peut dire qu’indirectement, ce seront les couches les plus démunies de la population israélienne qui vont supporter la plus grande partie du coût de la dernière guerre à Gaza”, conclut Jacques Bendelac.