Barack Obama est-il anti-Israël? 

Frédéric Encel

Le Président américain, Barack Obama, est-il anti-Israël, comme ne cessent de l’affirmer ses nombreux détracteurs?

Nous avons posé cette question à un spécialiste reconnu des enjeux géopolitiques internationaux, des relations entre Israël et les États-Unis, du conflit israélo-palestinien et du Dossier nucléaire iranien, le géopolitologue Frédéric Encel.

Docteur en Géopolitique, Professeur de Relations internationales à l’École Supérieure de Gestion de Paris et à l’Institut d’Études Politiques de Paris et Directeur de Recherches à l’Institut français de Géopolitique de l’Université Paris VIII, Frédéric Encel est l’auteur de plusieurs essais remarqués sur la Géopolitique internationale et le conflit israélo-arabe, dont Atlas Géopolitique d’Israël. Aspects d’une Démocratie en Guerre (Éditions Autrement, nouvelle édition revue et augmentée, 2015) et Géopolitique d’Israël. Dictionnaire pour sortir des fantasmes, coécrit avec François Thual (Éditions du Seuil, 2004). Son dernier livre: un excellent essai sur les révoltes populaires qui ont embrasé les pays arabes en 2010, Géopolitique du Printemps arabe (Éditions des Presses Universitaires de France, 2014).

“Ça n’a aucun sens de qualifier Barack Obama de “viscéralement anti-israélien”, répond Frédéric Encel en entrevue.  En six ans et demi de Présidence, Barack Obama n’a jamais voté à l’ONU une Résolution en défaveur d’Israël. Mieux que ça, il ne s’est jamais abstenu. Il aurait pu simplement s’abstenir en guise d’avertissement sans frais. Il a systématiquement opposé son veto. Et, à l’Assemblée générale de l’ONU, où il n’y a pas de veto et où un pays égale une voix, les États-Unis et leurs alliés traditionnels dans le Pacifique ont toujours voté en faveur d’Israël.”

L’accord d’étape sur le nucléaire conclu le 2 avril dernier entre les grandes puissances occidentales et l’Iran, qui échange l’arrêt de la production de plutonium, la réduction à 6104 du nombre de centrifugeuses et le gel des sites nucléaires iraniens contre la levée des sanctions internationales, est-il un “accord acceptable” ou un “très mauvais accord”, comme l’affirme le Premier Ministre d’Israël, Benyamin Netanyahou?

“Techniquement, l’accord conclu à Lausanne avec le gouvernement de Téhéran contient toutes les garanties permettant d’empêcher l’Iran de se doter de la bombe nucléaire. Si les Iraniens roulaient pour la énième fois les Occidentaux dans la farine et ne respectaient pas cet accord, il leur faudrait minimalement un an et demi, et peut-être davantage, pour fabriquer une bombe nucléaire.  Or, en une année, les Occidentaux peuvent, s’ils ont la volonté politique de le faire bien sûr, réinstaurer des trains de sanctions économiques extrêmement sévères et, en dernier ressort, lancer une offensive militaire aérienne contre les installations nucléaires iraniennes.”

Les critiques formulées par Benyamin Netanyahou à l’encontre de cet accord-cadre conclu entre le Groupe 5+1 (États-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni et Allemagne) et l’Iran ne sont-elle pas justifiées et légitimes?

“On est à la fois face à une réalité et à une posture israéliennes”, dit Frédéric Encel. 

La réalité, c’est l’“inquiétude très compréhensible” des Israéliens face à un régime islamiste “férocement antisioniste et anti-israélien”, dont les missiles englobent Israël dans leur rayon d’action. 

Un Iran doté de la bombe nucléaire constituerait une grande menace pour Israël, et aussi pour les pays arabes modérés sunnites du Moyen-Orient, rappelle Frédéric Encel. 

La posture géopolitique défendue ardemment par Benyamin Netanyahou, éviter à tout prix que le régime de Téhéran se dote de l’arme nucléaire, est “légitime et logique”, estime Frédéric Encel. 

Le gouvernement Netanyahou préconise des attaques aériennes ciblées contre les infrastructures nucléaires iraniennes et le renforcement des sanctions économiques contre le régime de Téhéran. 

“Je ne crois pas que Netanyahou soit fanatiquement obsédé par l’Iran, je pense qu’il surjoue la question nucléaire iranienne tout comme les dirigeants iraniens surjouent leur hostilité à l’endroit d’Israël. Depuis 1979, année du début de la révolution islamique iranienne, pouvez-vous me dire combien de fois l’Iran a attaqué militairement Israël? La réponse est: 0. Nous sommes effectivement dans une rhétorique qui est très pénible mais les faits sont là. L’Irak, l’Égypte, la Syrie, la Jordanie et l’OLP ont déjà attaqué militairement Israël. L’Iran des Ayatollah jamais. Jusque-là, la guerre que l’Iran mène contre Israël se limite à une rhétorique jusqu’au-boutiste et abjecte.” 

Dans le dossier nucléaire iranien, ce qui est très étonnant, c’est que Benyamin Netanyahou critique uniquement l’Administration Obama tout en s’abstenant d’émettre la moindre protestation à l’égard des cinq autres pays signataires de l’accord préliminaire conclu avec l’Iran, constate Frédéric Encel.

“J’ai une hypothèse qui vaut ce qu’elle vaut.”

Au début des années 80, Menahem Begin, mentor idéologique de Benyamin Netanyahou, protesta pendant plusieurs mois de façon extrêmement virulente contre le Président américain Jimmy Carter et son Administration parce que celle-ci s’apprêtait à vendre des AWACS, un avion de détection doté d’un dôme radar très sophistiqué, à l’Arabie Saoudite, rappelle Frédéric Encel. Au bout de quelques mois, les protestations israéliennes cessèrent. La vente d’avions AWACS à l’Arabie Saoudite n’a eu aucune conséquence néfaste pour Israël. En revanche, en 1981, les premiers chasseurs bombardiers américains F15 Eagle arrivèrent plus rapidement que prévu, et en quantité plus importante, en Israël. 

Aujourd’hui, poursuit Frédéric Encel, ce qui est sur la table c’est le dernier prototype d’avion de combat américain, le F35. Les Israéliens veulent absolument se procurer au plus vite cet avion dernier cri pour maintenir un “seuil qualitatif militaire”, qu’ils considèrent très important, par rapport à l’Iran et aux pays arabes toujours en guerre contre Israël.  

“Je me demande dans quelle mesure Netanyahou n’est pas en train de surjouer le dossier nucléaire iranien afin de contraindre l’Administration Obama à livrer à Israël plus vite que prévu ces précieux chasseurs bombardiers? C’est une stratégie tout à fait logique et légitime sur le plan géopolitique.”

Plusieurs analystes des questions géopolitiques internationales affirment que l’Administration Obama est le principal instigateur de l’accord sur le nucléaire négocié avec Téhéran, les autres pays signataires de cette entente s’étant cantonnés dans une “position de suiveur”.

Frédéric Encel récuse cette affirmation qu’il qualifie de “fausse”. 

“Difficile de croire que les Russes, les Chinois, les Britanniques, les Français et les Allemands seraient devenus des laquais de l’Amérique. Laurent Fabius, Ministre français des Affaires étrangères, a dénoncé il y a six mois un accord qui était en phase d’aboutir parce que, selon lui, celui-ci comportait des contraintes techniques moins dures que celles qui régissent l’accord-cadre signé le 2 avril dernier avec l’Iran. Dans les dossiers très chauds de l’Iran, du Mali et de la Syrie, la France a été en pointe devant les Américains, évidemment avec infiniment moins de moyens dont ceux dont disposent les États-Unis. Dans le dossier nucléaire iranien, les Britanniques ont adopté aussi une position intéressante: moins suiviste que d’habitude vis-à-vis des Américains et plus proche de la position défendue par la France.”