“À Montréal, l’Identité sépharade est menacée”

Rabbi Raphaël Afilalo

Le Rabbin Raphaël Afilalo n’a pas l’habitude d’étaler ses états d’âme sur la place publique. Cependant, le leader spirituel de la Synagogue Ramhal de Côte Saint-Luc est taraudé par un phénomène socio-religieux qui, selon lui, n’a cessé de prendre de l’ampleur ces dernières années dans la Communauté sépharade de Mont­réal: de plus en plus de jeunes, et de jeunes couples mariés, Sépharades ont délaissé le cadre traditionnel religieux dans lequel ils ont grandi pour adhérer à des mouvements hassidiques ashkénazes ultra-orthodoxes.

“À Montréal, l’Identité sépharade est sérieusement menacée. Nous savons tous que les jeunes Sépharades sont les seuls garants de la pérennité de cette Identité. Or, aujourd’hui, un très grand nombre d’entre eux sont devenus de fervents adeptes de plusieurs mouvements hassidiques ashkénazes ultra-orthodoxes et ont renié la tradition religieuse sépharade que leurs parents se sont escrimés à leur transmettre. C’est une réalité pathétique! D’autant plus que ces mouvements religieux hassidiques ashkénazes véhiculent une Philosophie de pensée et d’enseignement qui est parfois aux antipodes des Traditions religieuses sépharades. Les Sépharades ont toujours été très Sionistes alors que ces mouvements ultra-orthodoxes ashkénazes ne le sont pas du tout”, lance en entrevue le Rabbin Raphaël Afilalo avec une pointe d’amertume.

En “tournant le dos” à l’héritage religieux de leurs aïeux, les liens fami­liaux qui unissaient jadis ces jeunes Sépharades à leurs parents et à d’autres proches membres de leurs familles se sont peu à peu effilochés, déplore-t-il.

“Cette situation fort désolante a créé de vives tensions, et aussi des drames, dans des familles. Des enfants refusent d’aller manger le Shabbat et les Fêtes juives chez leurs parents car ils considèrent que les règles religieuses, notamment en ce qui a trait à la cacherout, ne sont pas suffisamment rigoureuses dans le foyer parental. Des noyaux familiaux, autrefois solides, sont ainsi disloqués”, dit-il.

Les jeunes Sépharades fréquentant ces mouvements hassidiques ultra-orthodoxes ashkénazes ont “adopté des us et coutumes religieux totalement étrangers aux Traditions religieuses sépharades”, constate le Rabbin Raphaël Afilalo.

“Chaque année, à la veille de Rosh Hashanah, des dizaines de jeunes Sépharades Montréalais délaissent leurs familles pour aller pèleriner les tombeaux d’illustres Rabbins Ashkénazes enterrés dans de lointaines contrées d’Europe de l’Est. Une pratique totalement contraire à la Tradition religieuse sépharade qui, au contraire, préconise que toute la famille au complet soit réunie autour de la table pendant la Fête sacrée de Rosh Hashanah. C’est ce que nous rappelle souvent une grande figure du Judaïsme rabbinique sépharade, Rabbi Ovadia Yossef, ancien Grand Rabbin Sépharade d’Israël. Il faut re­mé­mo­rer à ces jeunes que le Sépharadisme compte aussi dans ses rangs de vénérables Rabbins et d’éminents Maîtres de la Torah qu’ils n’ont jamais adulés, ni pèlerinés, et dont ils ­ignorent l’immensité de l’héritage Toranique qu’ils nous ont légué.”

D’après le Rabbin Raphaël Afilalo, le “culte du Rebbe” est une pratique religieuse “inexistante” dans la Tradition sépharade.

“Les grands Rabbins Sépharades, Rabbi Yaacov Abehsera, Baba Salé, Ben Ishaï, Or Hahayim… ont toujours refusé d’être considérés comme des Rebbes et n’ont jamais créé des mouvements s’apparentant à des sectes, comme l’ont fait les Hassidim. La raison de ce refus de se sectariser est simple: dans la Tradition religieuse sépharade, les membres d’une Communauté doivent demeurer unis et constituer une seule Kéhila. Le Sé­pha­ra­disme a toujours prôné l’unité et non la division en plusieurs sectes, comme c’est le cas dans les mouvances hassidiques, où l’on suit scrupuleusement les injonctions édictées par le Rebbe.”

Le Rabbin Raphaël Afilalo lance un vibrant appel aux leaders communautaires et rabbiniques de la Communauté sépharade de Montréal pour qu’ils prennent conscience de “cette réalité inéluctable et fort préoccupante” et agissent en conséquence pour “endiguer cette tendance pernicieuse” qui, dans une perspective à long terme, aura indéniablement des “conséquences très néfastes sur l’Iden­tité sépharade”.

“Aujourd’hui, à Montréal, beaucoup de jeunes Sépharades désertent les Synagogues sépharades pour fréquenter les Synagogues de mouvements ultra-orthodoxes ashkénazes. À Côte Saint-Luc, il y a même une Synagogue sépharade, qui a servi notre Communauté pendant plus de 30 ans, qui connaît actuellement de graves problèmes financiers. Il est temps que les leaders communautaires et les Rabbins Sépharades mesurent la gravité de ce problème. Pendant des années, les Sépharades ont laissé un grand vacuum au niveau religieux, que des groupes ultra-orthodoxes ashkénazes ont exploité à leur avantage. Nous leur avons laissé le champ libre. Au chapitre religieux, certains leaders Sépharades ont renoncé à leurs responsabilités crai­gnant d’être sévèrement critiqués. Les contentieux stériles qui ont opposé les leaders religieux aux dirigeants de la Communauté sépharade de Mont­réal ont fait perdre à celle-ci de précieuses années. Le leadership religieux sépharade, qui est quasiment inexistant, n’a pas été capable d’apporter une réponse adéquate pour composer avec ce problème, ni d’élaborer une stratégie d’Éducation religieuse pour éviter le départ de nos jeunes des Institutions cultuelles et communautaires sépharades montréalaises.”

Le Rabbin Raphaël Afilalo exhorte les leaders communautaires et rabbiniques sépharades à “amorcer incessamment une réflexion sur ce problème majeur, que nous ne pou­vons pas continuer à éluder”.

“Nous devons agir maintenant. Demain ce sera trop tard, dit-il. Chose certaine, nous ne sauverons pas l’Iden­ti­té sépharade avec des concerts de Musique arabo-andalouse, des ré­ci­tals d’Enrico Macias et des con­fé­rences sur la nostalgie de la co­ha­bi­ta­tion judéo-musulmane dans l’Andalousie médiévale! Ce type d’événements culturels n’intéressent pas du tout les jeunes Sépharades.”

Le Rabbin Raphaël Afilalo déplore qu’un grand nombre de jeunes, et de jeunes familles aussi, Sépharades soient résolument convaincus que ce n’est que lorsqu’ils se sont joints à des mouvements juifs ultra-orthodoxes de souche ashkénaze qu’il ont “réellement découvert la quintessence du vrai Judaïsme” alors que, d’après ces derniers, dans le passé, ils pratiquaient dans leur sérail familial un Judaïsme “folklorique, atone et non intégral”.

“Cette perception que beaucoup de jeunes Sépharades ont de leurs Traditions religieuses ancestrales est un grand déni du Sépharadisme et un immense leurre. Je tiens à rappeler que le Judaïsme dans les pays d’Afrique du Nord, particulièrement au Maroc, s’est perpétué pendant de nombreux siècles grâce à de prestigieuses lignées rabbiniques, qui n’ont rien à envier aux plus grands Maîtres du Judaïsme rabbinique de l’Europe de l’Est. Aujourd’hui, certains veulent nous faire croire que le Judaïsme sépharade n’a pas évolué et que l’absence d’un unique Rebbe nous enjoint d’adhérer à des mouvements hassidiques ultra-orthodoxes ashkénazes. C’est une vision mesquine et dédaigneuse des Traditions cultuelles sépharades. Nous devons combattre vigoureusement ces stéréotypes tenaces et mensongers.”

Le Rabbin Raphaël Afilalo tient à préciser qu’il a “un grand respect pour ces illustres Rabbins Hassidiques”, mais, ajoute-t-il avec entrain, “ces grandes figures rabbiniques Ashkénazes ne sont pas les Rebbes des Sépharades”.

“Les enfants Sépharades ne doivent pas grandir en écoutant sans cesse dans les Synagogues de ces mouvements ultra-orthodoxes ashkénazes: “Le Rebbe a dit , le Rebbe a fait… comme si les Sépharades n’avaient aucune histoire, ni aucun Rabbin digne de porter ce noble Titre.”

Le Rabbin Raphaël Afilalo vient de créer une Association, qu’il a appelé “Héritage sépharade”, pour sensibiliser les Sépharades de Montréal à ce “phénomène inéluctable qui assombrit l’avenir de leur Identité”.

Tous ceux et celles souhaitant se joindre à cette nouvelle Association ou obtenir plus d’informations sur celle-ci peuvent contacter le Rabbin Raphaël Afilalo à l’adresse courriel: [email protected]

“J’espère que les Sépharades pourront exprimer leur Identité fièrement, dans la dignité et le respect de tous nos frères et soeurs Juifs, quelles que soient leurs tendances religieuses ou origines culturelles”, conclut-il.

In an interview, Rabbi Raphaël Afilalo of Ramhal Synagogue in Cote St.-Luc laments what he sees as the trend for young Montreal Sephardim to join Ashkenazi chassidic communities.