Les Écoles juives et les élèves en difficulté

Nathalie Myara

Chaque année, un bon nombre d’élèves en difficulté d’apprentissage sont contraints de quitter le Réseau éducatif juif montréalais pour poursuivre leur scolarité dans le Secteur public parce que les Écoles juives sont inaptes à répondre à leurs besoins pédagogiques spéciaux.

“C’est un problème qui ne cesse de s’aggraver”, constate l’Orthopédagogue Nathalie Myara.

Détentrice d’une Maîtrise en Intervention éducative et d’un Doctorat en Psychopédagogie de l’Université de Montréal, Nathalie Myara est actuellement chargée de cours au Département de Psychopé­dagogie et d’Andragogie de l’Université de Mont­réal et Responsable pédagogique de la Maîtrise professionnelle en Orthopédagogie, offerte depuis deux ans par cette Institution universitaire francophone.

Nathalie Myara, qui a été l’élève du grand Pédagogue Israélien Reuven Feuer­stein, a conçu un Outil d’Ana­lyse permettant de mesurer l’effi­ca­ci­té des Plans d’action élaborés par les Écoles pour prodiguer une aide pé­da­go­gique aux élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage. L’Outil mis au point par cette universitaire, dont les Travaux de recherche rigoureux sont reconnus dans les milieux aca­dé­miques spécialisés dans le champ de l’Éducation, fait l’objet d’un Cours donné à la Maîtrise professionnelle en Orthopédagogie de l’Université de Mont­réal.

Nathalie Myara nous a accordé une entrevue récemment.

C.J.N.: D’après vous, les Écoles juives ne sont pas bien ou­tillées et n’ont pas les ressources pédagogiques nécessaires pour aider les élèves en difficulté d’apprentissage.

Nathalie Myara: Pour l’instant, les Écoles de la Communauté juive sont des Écoles régulières, avec un Curriculum académique conventionnel. Certaines Écoles juives prodiguent des services spécifiques à leurs élèves éprouvant des difficultés d’apprentissage. C’est le cas des Écoles J.P.P.S-Bialik, de l’Académie Solomon Schechter, de l’Académie-Yéchiva Yavné et de Hebrew Academy -ces deux Institutions scolaires juives orthodoxes ont conclu un accord de coopération avec les Écoles Vanguard, des Écoles spécialisées accueillant des élèves ayant des difficultés d’apprentissage ou des troubles spécifiques. Ces Écoles donnent un soutien aux élèves aux prises avec des difficultés d’apprentissage en dehors de la classe. Ce service d’aide est appelé la “Classe ressource”. L’élève sort de la classe quelques heures par semaine pour recevoir un soutien pédagogique de la part d’un(e) orthopédagogue. Souvent, ce soutien pédagogique n’est pas suffisant. Il y a des élèves qui ont besoin du soutien pédagogique d’un accompagnateur ou d’une accompagnatrice toute la journée.

Les dirigeants des Écoles juives sont conscients de ce problème de plus en plus aigu. Ils se démènent pour trouver des solutions mais leurs Écoles n’ont pas les outils ni les ressources pédagogiques adéquats pour solutionner ce type de problème. Le plus souvent, la solution pré­co­ni­sée est de demander aux parents des élèves confrontés à des difficultés d’apprentissage, notamment ceux ayant deux ou trois ans de retard scolaire, d’inscrire ces derniers dans une École pouvant répondre plus adé­quate­ment à leurs besoins.

C.J.N.: Comment endiguer cette tendance fort pernicieuse?

Nathalie Myara: Aujourd’hui, à Mont­réal, quelque 7000 élèves Juifs sont scolarisés dans les Écoles publiques. Un bon nombre d’entre eux par manque de choix. Ceux ayant des besoins pédagogiques particuliers ne pouvaient pas poursuivre leurs Études Primaires ou Secondaires dans des Écoles juives n’offrant pas des services spécialisés pour des élèves en difficulté d’apprentissage. Beaucoup de parents Juifs dont les enfants sont scolarisés dans des Écoles publiques sont très soucieux de l’Identité juive de ceux-ci. Ils souhaitent que leurs enfants aient des liens étroits avec un milieu juif. L’École n’est pas seulement un lieu d’apprentissage, c’est aussi un lieu social.

C.J.N.: Les Écoles juives tentent-elles de pallier à ce grave problème éducatif?

Nathalie Myara: Les instances en charge du Dossier de l’Éducation dans la Communauté juive de Mont­réal ac­cordent une attention particulière à ce problème épineux. Le Bronfman Jewish Education Center (B.J.E.C.), Organisme où j’ai présenté l’Outil d’intervention que j’ai déve­loppé, s’attelle actuellement à élaborer un Modèle d’intervention favorisant l’inclusion des élèves ayant des difficultés d’apprentissage dans des classes ordinaires. Le B.J.E.C. prend très au sérieux ce problème, qui est un grand défi éducatif pour les Écoles juives.

C.J.N.: Les Écoles publiques sont-elles réellement mieux outil­lées pour accueillir les élèves en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage?

Nathalie Myara: Le Secteur public n’est pas la panacée miracle. Les Écoles publiques mont­réa­laises et qué­bé­coises spécialisées qui pro­diguent de l’aide à des élèves en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage ont de longues listes d’attente. Cependant, des efforts importants sont faits par les Commissions scolaires du Secteur public pour essayer de trouver des solutions viables.  Plu­sieurs services ont été mis en place dans les Écoles publiques pour ré­pondre à cette problématique. Ces Institutions scolaires publiques, qui sont beaucoup mieux outillées que les Écoles privées pour dispenser une aide pédagogique à des élèves éprouvant des difficultés d’apprentissage, sont dans un mode d’évolution.

C.J.N.: Parlez-nous du Centre que vous avez créé pour des enfants Juifs en difficulté d’apprentissage scolarisés dans des Écoles publiques.

Nathalie Myara: En 2008, j’ai ouvert avec mon époux, Éric Yossef Ifergan, et en collaboration avec une Clinique Médicale de Côte Saint-Luc, le Centre d’Accomplissement Lanaar, qui accueille des enfants Juifs en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage scolarisés dans des Écoles publiques dont les parents souhaitent qu’ils reçoivent une Éducation juive. Cette année, le Centre d’Accomplissement Lanaar a initié un nouveau Projet: Banav -terme hébreu signifiant “construire”-, qui accueille du lundi au jeudi, de 14h 30 à 16h 30, une quinzaine d’enfants, âgés de 7 à 13 ans, scolarisés dans des Écoles publiques, qui ont des difficultés d’apprentissage. Divisés en trois Groupes, ces élèves sont supervisés par trois enseignants spécialisés qui leur dispensent les bases de l’Éducation juive: enseignement de l’hébreu et des principales Traditions juives, familiarisation avec les Fêtes juives… tout en accordant une attention spéciale à leurs besoins éducatifs particuliers. Pour l’instant, la majorité des élèves inscrits dans le Programme Banav sont des Anglophones. Ces élèves ont des différents degrés d’observance religieuse. Les frais de participation au Programme Banav sont minimes. Nous travaillons actuellement à l’élaboration d’un Projet pilote plus ambitieux, que nous comptons proposer prochainement à l’Association des Écoles Juives de Montréal: ouvrir une Classe Banav dans une École juive de Montréal afin que les élèves de celle-ci, scolarisés dans des Écoles publiques, puissent socialiser  avec d’autres enfants de leur Communauté et renforcer leur Identité juive. 

Canadian Jewish News: Quels sont les principaux atouts de l’Outil d’évaluation que vous avez conçu?

Nathalie Myara: Adoptée en 1992, la Politique de l’adaptation scolaire du Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (M.E.L.S.) oblige les Écoles du Québec à se doter d’un Plan d’action pour aider au niveau pédagogique les élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage. Mais, malgré les directives émises par le M.E.L.S., les intervenants scolaires ne disposent pas encore d’Outils efficients  pouvant évaluer les chances de réussite des Plans qu’ils ont élaborés. Dans le cadre de mes Travaux de Doctorat, j’ai conçu un Outil d’évaluation en uti­li­sant la Méthode de l’Analyse de la valeur pédagogique. Cette Méthode, employée notamment en Ingéniérie, vise à assurer la satisfaction du besoin de l’utilisateur d’un produit, tout en cherchant à réduire son côut de production. J’ai transposé cette Méthode d’évaluation au monde de l’Éducation. Celle-ci comporte trois phases. Première phase: Analyse exhaustive des besoins des élèves, de la Direction de l’École, des orthopédagogues et des parents. Deuxième phase: Analyse des principaux mandats et objectifs que le Plan d’intervention doit réaliser. Élaborer ensuite en fonction de ces mandats et objectifs un Cahier des charges. Troisième phase: concevoir un Plan d’intervention optimal qui sera testé et validé dans le milieu scolaire. Je peaufine actuellement cette Méthode d’intervention en étroite collaboration avec des Chercheurs de l’École Polytechnique de Montréal, qui sont en train de mettre au point un logiciel pour perfectionner ce Modèle d’Analyse.

Pour plus d’informations sur le Centre d’Accomplissement Lanaar et le Projet éducatif Banav, contacter Yossef Éric Ifergan au 514-677-2458. Courriels: yoifer [email protected] ou [email protected].

In an interview, Nathalie Myara, who serves as a resource for schoolchildren with special needs, talks about the difficulties that arise for these children, especially in Jewish schools