Collaboration spéciale: Jours noirs pour les Juifs de France

Salomon Malka

Quand les historiens reviendront sur les premières décennies de notre siècle, ils retiendront sûrement la date du 7 janvier 2015. C’était la date de sortie d’un livre en France, un roman futuriste de Michel Houellebecq -entre la fable et la parabole- qui raconte l’histoire d’une “Soumission”. Une histoire qui commence dans un climat de “guerre civile” et qui finit par l’élection d’un candidat de la “Fraternité dite islamique”. Ce devait être une pochade, ou au mieux un roman-fiction. 

Seulement, le jour même de la sortie du livre, deux hommes, les frères Kouachi, entraient dans les locaux de “Charlie Hebdo” et abattaient de sang froid 12 hommes, dont des caricaturistes très connus, très aimés, Charb, Cabu, Wolinski, Tignous, Bernard Marris… Tous les observateurs ont relevé le professionnalisme de l’exécution. Les terroristes savaient le jour et l’heure de la conférence de rédaction du magazine. Ils connaissaient les noms de leurs victimes. Et ils ont quitté les lieux tranquillement en criant: “Nous avons vengé notre prophète Mahomet!”, et “Nous avons tué Charlie!”

La France était sous le choc, mais elle n’était pas au bout du tourbillon. Commençait un rodéo dans les rues de Paris et dans les environs de la capitale, suivi d’une fusillade à Montrouge puis d’une double prise d’otages, l’une à Darmattin, près de Roissy, dans une imprimerie où tentaient de trouver refuge les frères Kouachi. L’autre dans le XXème arrondissement à Paris, porte de Vincennes, dans un Hypermarché Cacher où Ahmadi Coulibaly, djihadiste lui aussi, ancien du Mali, d’Irak, de Syrie, du Yémen, formé dans tous les camps d’entraînement de ces pays, organisait une seconde prise d’otages qui devait s’achever dans le sang. Yoav Hattab (21 ans), Yohann Cohen (22 ans), Philippe Brahami, François-Michel Saada trouvaient une mort tragique sous les balles.

Jours terribles pour la France. Journée noire pour le Judaïsme français. Quatre nouveaux noms s’inscrivaient dans la liste des victimes de cette terreur qui a fondu en plein cœur de Paris et qui a laissé la communauté juive de France hébétée.

Après Toulouse, Bruxelles, Sarcelles, Créteil, de nouveau Paris. Les auteurs des attaques ont le même profil. Les frères Kouachi et Ahmadi Coulibaly ressemblent beaucoup à Mohammed Mérah, l’auteur du massacre de l’école juive de Toulouse, ou à Mehdi Nemmouche, l’auteur de la fusillade du Musée juif de Bruxelles. Sauf que les terroristes de cette nouvelle cuvée ont bien préparé leurs méfaits et ne sont pas des “loups solitaires”. Sauf qu’on a allongé la liste des cibles préférentielles. Aux policiers et aux juifs, on rajouté les journalistes, les dessinateurs, les tenants de la liberté d’expression. Les trois djihadistes qui ont affolé la population française pendant trois jours se sont en fait partagé les tâches. Aux uns les amateurs de crayon. A l’autre, les policiers et les juifs. À la Chaîne de télévision BFMTV qui lui demandait au téléphone, pendant qu’il détenait les otages (interview heureusement non diffusée), pour quelle raison il avait choisi le magasin Hypercacher de la porte de Vincennes, Coulibaly devait répondre, goguenard: “Parce que je voulais trouver des juifs!

Il y a eu une ferveur place de la République à Paris tout au long de la semaine. Tous ces jeunes allumant des bougies par terre, déposant des bouquets de fleurs, chantant la Marseillaise, clamant “Je suis Charlie”, ou tenant une affiche: “C’est juste un dessin!”

Il y a eu ce gigantesque défilé auquel participaient des chefs d’État du monde entier. Manifestation citoyenne inédite dans ses dimensions et dans ses intentions. 

Reste que quelque chose a changé irrémédiablement. Pour la première fois depuis la guerre, des synagogues ont fermé leurs portes le shabbat parce que les fidèles étaient dans le désarroi et qu’ils ne savaient pas comment le climat allait tourner.

Quand la prise d’otages à la porte de Vincennes s’est achevée, la presse a titré: “c’est fini!” Mais chacun sentait bien que rien n’était fini. Qu’on n’en était au début d’une guerre contre un fanatisme implacable et un terrorisme d’un genre nouveau.

Salomon Malka est journaliste, écrivain et directeur du magazine du Judaïsme français “L’Arche”.

 

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