‘La Charte du P.Q. c’est du pur délire’

Julien Bauer

Julien Bauer vit au Québec depuis 1967. Il est Professeur au Département de Science Politique de l’Université du Québec à Montréal (U.Q.A.M.) depuis 1975. Il est le seul Professeur de l’U.Q.A.M. de confession juive à porter la Kippa.

“Je n’arbore pas une Kippa par ethnocentrisme ou par goût de la provocation, mais tout simplement parce que ce symbole cardinal de la religion juive fait partie intégrante de mon Identité”, nous a dit en entrevue ce descendant d’une lignée rabbinique renommée du Judaïsme français.

Les liens sulfureux existant entre le politique et le religieux, Julien Bauer en connaît un bout. Il a même consacré un excel­lent essai à ce sujet très épineux, Politique et Religion (Presses Universitaires de France, Collection “Que sais-je?”, 1999). Auteur d’une dizaine d’ouvrages, dont plu­sieurs sont devenus des livres de référence dans les milieux universitaires, ce spécialiste reconnu en Administration pu­blique -discipline qu’il enseigne à l’U.Q.A.M. depuis 38 ans- qualifie sans ambages d’“aber­ration” et “pur délire” le Projet de Charte des valeurs québécoises concocté par le Gouvernement du Parti Québécois dirigé par Pauline Marois.

Julien Bauer est bien conscient qu’il est dans la ligne de mire des concepteurs de ce Projet socio-identitaire très controversé.

“Que je porte une Kippa, ça n’a jamais dérangé personne à l’U.Q.A.M. Ce qui ulcère parfois mes collègues antisionistes, ce sont mes positions farouchement pro-Israël. Depuis que le Parti Québécois a présenté ce Projet aberrant, qui est en train de diviser profondément les Québécois, tous mes collègues de travail, y compris ceux qui sont foncièrement anti-israéliens, sont venus me dire qu’ils trouvaient que cette Charte des valeurs québécoises est absolument délirante.”

La réponse cinglante de Julien Bauer aux Péquistes s’échinant à mettre en oeuvre ce Projet de Charte vigoureusement rejeté par toutes les Communautés culturelles du Québec: “Je viens de commander à Jérusalem une nouvelle Kippa blanche, qui sera spécialement tricotée pour moi, sur laquelle sera brodé en couleur bleue le logo de mon Université: U.Q.A.M.”

Avant d’enseigner à l’U.Q.A.M., Julien Bauer a travaillé pendant plusieurs années dans la Fonction publique québécoise. À l’époque, parmi les quelque 30 000 fonctionnaires québécois, on ne dénombrait que 3 Juifs. Aujourd’hui, la Fonction publique québécoise compte dans ses rangs un peu plus de Juifs, mais ces derniers constituent toujours “une infime minorité”, rappelle-t-il

“Le principal objectif de mon travail dans la Fonction publique était de faire fonctionner l’État. Ensuite, ma fonction comme Professeur à l’U.Q.AM., Université où j’enseigne depuis 38 ans l’Administration publique, consiste à former des étudiants qui dans leur vie professionnelle seront amenés à jouer un rôle constructif dans la société. Or, aujourd’hui, avec son Projet de Charte totalement débile, le Parti Québécois vient me dire: “Tu ne fais pas partie des meubles québécois, tu n’es qu’un maudit étranger!” On ne me dit pas explicitement: “Rentre chez toi maudit étranger”,  mais c’est ce que cette Charte abominable me dit. En fait, cette Charte totalement délirante n’est pas seulement une insulte à mon endroit comme individu, celle-ci est aussi une attaque véhémente contre les valeurs de la vie en société dans une démocratie.”

Pour Julien Bauer, la Charte des valeurs québécoises est “un retour au passé le plus sinistre du Québec”.

“Tout en se drapant dans un vocabulaire mo­derne, pseudo­-gauchiste, cette Charte nous convie à retourner à l’époque noire et honteuse de Maurice Duplessis. Le fait même de défendre le maintien du Crucifix, imposé par Maurice Duplessis au début des années 30, dans le Salon des débats de l’Assemblée Nationale du Québec, indique clairement que le Parti Québécois, qui, à mon humble avis, n’a jamais été un Parti de gauche -mais ça c’est un autre débat-, est le fier successeur de l’Union Nationale de Maurice Duplessis, c’est-à-dire un Parti obscurantiste et des plus sectaires incarnant les valeurs les plus régressives de la société québécoise”.

Quand Julien Bauer est arrivé avec sa famille au Québec à la fin des annés 60, beaucoup de Québécois allaient encore à la Messe le dimanche, les Québécoises avaient alors 8, 10 ou 12 enfants… se rappelle-t-il.

“Ce qui est étonnant, c’est que le Parti Québécois n’a retenu du Patrimoine québécois que le Crucifix, c’est-à-dire un objet religieux qui incarne sans la moindre ambiguïté une supériorité des Québécois Ca­tho­liques, qui ne croient plus en rien, par rapport aux autres religions. C’est ça qui est exaspérant. Dire dans une même phrase: “On est pour la laïcité, mais on tient mordicus à maintenir la Croix”, c’est une contradiction sidérante. Ça ne tient pas debout!”

Julien Bauer craint-il que l’U.Q.A.M., une Institution d’Études supérieures publique financée à 100% par le Gouvernement du Québec, mette en oeuvre cette Charte des valeurs si celle-ci est prochainement adoptée sous forme de Loi par l’Assemblée Nationale du Québec?

“Sur le plan légal, dans les Statuts de l’U.Q.A.M., il est clairement indiqué que cette Université est laïque. N’étant pas Prophète, j’ignore complètement comment l’U.Q.A.M. se positionnera face à cette Charte des valeurs. Personnellement, je suis contre l’option proposée à certaines Institutions publiques québécoises, dont les Universités, si jamais ce Projet venait à être adopté par le Parlement de Québec, de se prévaloir de la Clause dérogatoire, applicable durant cinq années et éventuellement renouvelable. Quand une Loi est débile, on ne l’applique pas. Point final! Soyons clairs. Comme dans le cas de la Loi 101 sur la Langue française, la seule façon d’appliquer une Loi imposant cette Charte des valeurs québécoises, ce sera sur une base de dénonciation. Des salopards qui dénoncent des concitoyens, il y en a toujours eus et il y en aura toujours. Le Gouvernement du Parti Québécois sera obligé de créer un Office des signes religieux ostentatoires, qui dépêchera sur le terrain des inspecteurs zélés pour vérifier la taille des Kippas, des Croix, des Étoiles musulmanes… Ce sera alors le délire complet! Du point de vue de la vie en société dans une démocratie, ce Projet de Charte est inadmissible. D’un point de vue très pratique, mon domaine est quand même l’Admi­ni­stra­tion et les Politiques publiques, une telle Loi ne pourra être appliquée. Alors, tant qu’à faire une grande imbécilité qui ne pourra jamais être appliquée juridiquement, il vaut mieux abandonner ce Projet très farfelu. C’est l’honneur et l’avenir du Québec qui sont en jeu!”

 

In an interview, Université du Québec à Montréal Prof. Julien Bauer is highly critical of the proposed Charter of Quebec Values. Bauer, who has taught political science at the university for 38 years, is the only one in his university who wears a kippah there every day.