Magda Hollander-Lafon Survivante d’Auschwitz

Magda Hollander-Lafon

Magda Hollander-Lafon est née en Hongrie en 1927, dans une famille juive. En 1944, à l’âge de 16 ans, elle est déportée à Auschwitz-Birkenau avec sa soeur et sa mère, qui ont été immédiatement gazées -lorsqu’elle arrive dans ce Camp de la mort nazi, Magda Hollander-Lafon dit avoir 18 ans, échappant sans le savoir à la sélection fatale du Dr Mengele. Son père, Adolf Hollander, est mort dans l’“hôpital” du Ghetto de Nyiregyhaza avant sa déportation.

En 46 jours, 437000 Juifs hongrois furent déportés dans 147 convois ferroviaires vers le Camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau. 350000 ont été tués dès leur arrivée dans ce Camp de la mort nazi.

Rescapée de la Shoah, Magda Hollander-­Lafon est recueillie en Belgique à son retour des Camps. Elle devient psychologue pour enfants. À Rennes, où elle vit depuis trente-trois ans avec sa famille, elle intervient auprès des jeunes pour témoigner, mais aussi parfois pour les accompagner intérieurement. La vie de Magda Hollan­der-Lafon est une longue traversée tissée de renaissances. Sa première renaissance: le don de quatre petits bouts de pain offerts à l’adolescente par une mourante dans le Camp d’Auschwitz-Birkenau.

“L’homme est capable du pire, mais c’est au meilleur que j’appelle, c’est-à-dire à la joie”, dit-elle en entrevue.

Une joie spirituelle ravie à la désespérance, volée à l’enfer qui a failli l’engloutir, nourrie par une vie de foi et de rencontres d’âme à âme. Une joie dont elle partage toute la fécondité et qui resplendit en un vibrant appel à devenir créateur de sa vie dans un livre magnifique et très bouleversant où cette survivante de la Shoah relate son expérience concentrationnaire et sa lente renaissance, Quatre petits bouts de pain. Des ténèbres à la joie (Éditions Albin Michel).

“Ce livre n’est pas un témoignage sur la Shoah, mais une méditation sur la vie”, précise-t-elle.

Le lundi 13 mai, à 19h30, Magda Hollander-Lafon donnera une conférence sur son livre à la Librairie Paulines -2653 Masson, Montréal.

Canadian Jewish News: Pourquoi avez-vous attendu si longtemps avant d’écrire ce livre?

Magda Hollander-Lafon: J’ai attendu très longtemps avant d’écrire ce livre pour plusieurs raisons. Tout d’abord, à la fin de la Guerre, j’ai choisi la vie. J’avais alors 17 ans. Or, pour m’intégrer dans une nouvelle vie, il fallait absolument que je mette de côté le passé très lourd que je portais en moi. J’étais alors très consciente que je ne pouvais pas recommencer une nouvelle vie si je m’agrippais aux souvenirs de mon passé funeste. Par ailleurs, avant de pouvoir relater mon histoire, il fallait absolument que je canalise les peurs qui m’affligeaient et l’immense haine que j’avais contre le mal. Comment témoigner quand vous-même vous n’êtes pas bien intérieurement? Il fallait d’abord que je travaille sur moi-même, que je sache où j’en étais pour savoir où j’allais? Je me disais toujours qu’en 1945 j’ai pris le train de la vie à 350 kms à l’heure. Or, quand vous prenez un train à une vitesse aussi vertigineuse, et que vous revenez d’un autre monde, ça requiert un temps d’intégration. À mon retour des Camps, je sentais déjà que je ne pouvais pas relater mon vécu concentrationnaire dans sa cruauté parce que personne ne m’aurait entendue. Avant de raconter mon histoire, il fallait que je donne du temps au temps.

C.J.N.: C’est le Devoir de Mémoire qui vous a motivée à témoigner?

Magda Hollander-Lafon: Ce n’est pas le Devoir de Mémoire qui m’a incitée à écrire ce livre, mais ma fidélité à la Mémoire de tous les êtres chers qui ont été annihilés dans cette grande hécatombe humaine qu’a été la Shoah. Aujourd’hui, la Mémoire m’habite mais ne me hante plus. C’est pourquoi j’ai enfin pu témoigner.

C.J.N.: À votre arrivée à Auschwitz vous vous êtes retrouvée face à face-à-face avec le terrifiant Dr Mengele.

Magda Hollander-Lafon: Jusqu’à la dernière minute, je croyais qu’on partait travailler dans un Camp. Pas une seule seconde je n’ai imaginé qu’on nous déportait vers un Camp d’extermination. Auschwitz-Birkenau était organisé sur un immense mensonge. Dès notre arrivée au Camp, des anciens déportés passaient devant nous et soufflaient aux plus jeunes: “dites que vous avez 18 ans”. Nous n’avons pas compris sur le champ cet étrange conseil, que j’ai suivi à la lettre. Une fois devant Mengele, je lui ai dit: “J’ai 18 ans”. Il m’envoya automatiquement à droite. Ma mère et ma soeur, qui était bien plus jeune que moi, sont allées à gauche. Je n’oublierai jamais Mengele avec sa fine baguette entre les mains, qui nous indiquait d’aller à droite ou à gauche. Notre vie dépendait de cette baguette qu’il maniait avec beaucoup d’élégance.

C.J.N.: Quand avez-vous pris conscience qu’Auschwitz-Birkenau était un Camp qui avait pour mission morbide d’exterminer les Juifs?

Magda Hollander-Lafon: Dès notre arrivée à Auschwitz-Birkenau, on a vite compris ce qui allait nous arriver. Nous avions tous conscience que nous étions là pour mourir. Mais, tous les déportés Juifs reclus dans ce Camp d’extermination nazi voulaient vivre jusqu’au bout. On s’accrochait désespérément au peu de vie qu’il nous restait. On nous donnait peu à manger, nous savions tous qu’on allait mourir, mais aucun d’entre nous ne voulait mourir. Nous n’étions pas très tendres entre nous, nous nous volions le peu de nourriture qu’on avait. Mais il y avait aussi des moments de fraternité et de rêve difficiles à ima­gi­ner dans un univers aussi ténébreux. Par exemple, les dimanches, nous mobilisions notre Mémoire pour réciter des poèmes jusqu’à en oublier où nous étions. Ce moment d’égarement nous permettait de nous projeter dans un autre univers. Tant qu’on écoutait de la poésie ou de la musique juive, l’espérance continuait de battre dans nos coeurs. Nous donnions parfois notre rachitique ration de pain en échange d’un morceau de papier et d’un crayon. Nous voulions laisser des traces.

C.J.N.: Les nazis vous traitaient impito­yablement, comme des esclaves.

Magda Hollander-Lafon: Tenaillées par la faim, nous travaillions jusqu’aux limites de nos forces, cassant des cailloux sous le regard d’Edwidge et d’Irma, deux surveillantes sadiques qui nous terrorisaient. Un jour, je fus affectée avec d’autres détenues au crématorium IV. Nous devions ramas­ser à la pelle des cendres humaines, les jeter dans une charrette puis les déverser dans un lac. Plusieurs fois, j’ai failli me noyer dans cet étang qui dégageait une odeur insoutenable.

C.J.N.: Vous racontez dans votre livre que les rêves et l’espoir n’ont pas pour autant disparu dans cet univers de mort et de haine.

Magda Hollander-Lafon: Seules les étoiles, la nuit, m’apportaient un peu de réconfort. Je sentais que ces étoiles nous observaient, avec des yeux brillants de larmes, ahuries par tant de cruautés sur la terre des hommes. Debout, épuisée, je cherchais des forces dans ces milliers de lumières. J’imaginais que ma famille, nos familles, se retrouvaient dans chacune de ces étoiles lumi­neuses et qu’elles veillaient sur nous.

C.J.N.: Quand et comment avez-vous appris que votre mère et votre jeune soeur avaient été gazées?

Magda Hollander-Lafon: À Auschwitz-Birkenau on étouffait parce que l’odeur de chair brûlée on la sentait partout. Les prisonniers ne comprenaient pas pourquoi cette odeur était si forte. Un jour, j’ai demandé à un Kapo où étaient ma mère et ma soeur. Il pointa son doigt en direction des cheminées des crématoires d’où sortaient des flammes. Il me dit sans aucune gêne: “ta mère et ta soeur sont dans ces flammes. Elles sont parties…” Ces mots ignominieux dépassent toute l’imagination humaine. C’est pourquoi à mon retour des Camps je devais en parler avec mesure parce qu’aucun être humain n’aurait pu comprendre mon témoignage.

C.J.N.: Où avez-vous puisé la force nécessaire pour survivre?

Magda Hollander-Lafon: Ce qui m’a beaucoup aidée à vivre, c’est la haine que j’avais de l’injustice. Je me disais tous les jours que nous ne méritions pas tout ça. J’étais aussi révoltée contre Dieu parce que je me demandais sans cesse comment est-il possible que mes frères et soeurs implorent l’Éternel pour qu’Il les laisse en vie et ce dernier reste indifférent à leurs appels de détresse? Aucun être humain n’est mort à Auschwitz-Birkenau, on les a assassinés sauvagement. Pour moi, aujourd’hui, Auschwitz-Birkenau demeure un lieu de mort, mais chaque être qui visite ce terroir de la barbarie est envoyé à la vie parce que tout être humain aspire à la vie.

C.J.N.: Vous arrive-t-il de désespérer lorsque vous constatez que les hommes ne semblent pas avoir tiré une leçon humanitaire de cette effroyable tragédie qu’a été la Shoah?

Magda Hollander-Lafon: Si vous supprimez la Mémoire, ça veut dire que tout peut recommencer. Presque 70 ans après la Shoah, comment l’Europe peut-elle rester passive devant la volonté de destruction de l’Autre, sans crier gare. Je me dis toujours, hier, c’étaient les Juifs, aujourd’hui, c’est l’Autre, et demain? C’est ma grande question. Qu’allons-nous léguer à nos enfants? La chose la plus importante que nous devons leur léguer, c’est la transmission de ce que nous sommes. Mais, nous ne devons pas leur transmettre ce que nous disons, mais ce que nous sommes dans le concret. N’oublions jamais que l’indifférence et l’ignorance peuvent engendrer la mort de l’homme et de l’humanité. Quand l’Autre n’existe pas à nos yeux, nous cessons aussi d’exister. Aujourd’hui, Auschwitz -et je pèse mes mots- est en chacun de nous. Nous avons le choix: sombrer dans une amnésie historique ou transmettre aux nouvelles générations les leçons tragiques des chapitres les plus noirs de l’Histoire de l’humanité.

C.J.N.: Êtes-vous retournée à Auschwitz-Birkenau?

Magda Hollander-Lafon: J’y suis retournée six fois. J’étais accompagnée deux fois par des collégiens. En France, j’ai rencontré quelque 50000 jeunes dans des écoles, à qui j’ai raconté mon histoire. Ils ont tous rempli ensuite un questionnaire que je leur ai soumis pour avoir leurs impressions sur mon témoignage. J’espère qu’un sociologue épluchera un jour ces milliers de questionnaires. Tout mon travail consiste à donner un sens à la vie. Mon sens de la vie est simple: appeler l’Autre dans le meilleur de lui pour que chacun de nous retrouve en lui-même le goût de la vie. Nous avons en nous une force que nous ne soupçonnons pas, une capacité inouïe pour inventer la vie. C’est le principal message que je m’escrime à transmettre aux jeunes.

 

In an interview, Hungarian-born Holocaust survivor Magda Hollander-Lafon, who lives in Belgium, will talk about her book on her concentration camp experiences, May 13 in Montreal.