Le Maroc a-t-il spolié et exclu ses Juifs?

Le Maroc est un des onze pays arabo-musulmans pointés du doigt dans le Rapport que le Comité permanent des Affaires étrangères et du Développement international de la Chambre des Communes d’Ottawa a consacré der­nière­ment aux Réfugiés Juifs natifs des pays arabes du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord contraints à l’exil après la fondation de l’État d’Israël, en 1948.

Quelque 250000 Juifs quittèrent le Maroc au lendemain de la création de l’État hébreu.

Le Maroc, où les Juifs étaient installés depuis le IIème siècle avant J.-C., a-t-il, à l’instar des autres pays arabo-musulmans, adopté aussi des Lois scélérates visant à spolier économiquement, à ­exclure socialement et à dégrader civiquement les Juifs vivant sur son Territoire?

Le réputé universitaire et essayiste Shmuel Trigano a dirigé un imposant ouvrage collectif entièrement dédié au départ forcé de quelque 900000 Juifs Sépharades des pays arabo-musulmans après la naissance d’Israël  -La fin du Judaïsme en Terre d’Islam (Éditions Denoël).

Dans ce livre très fouillé, l’historien israélien d’origine marocaine, Yigal Bin-Nun,  Professeur et Chercheur à l’Université de Tel-Aviv et à l’Université Paris VIII, consacre un Chapitre très exhaustif au départ des Juifs du Maroc à partir de la fin des années 40, intitulé “La négociation et l’évacuation en masse des Juifs du Maroc”.

 Yigal Bin-Nun relate un pan méconnu de l’Histoire contemporaine des Juifs du Maroc: le marchandage ardu entrepris au début des années 60 par le Gouvernement israélien avec les Autorités marocaines pour que ces dernières autorisent les Juifs à quitter le Maroc.

  Après l’Indépendance du Maroc en 1956, l’Histoire des Juifs établis dans ce pays depuis des lustres fut marquée par l’évacuation presque totale d’un quart de millions de ressortissants Israélites vers l’État d’Israël naissant.

D’après Yigal Bin-Nun, qui corrobore ses affirmations en s’appuyant sur les témoignages de plusieurs acteurs-clés de la négociation entre Israël et le Gouvernement marocain et des documents inédits, trouvés dans des Archives officielles du Gouvernement d’Israël, l’évacuation des Juifs du Maroc se négocia à un prix très élevé: 250 dollars américains per capita -un montant faramineux pour cette époque-, versés par le Gouvernement israélien pour chaque Juif que les Autorités marocaines autorisaient à quitter le pays.

Mais, force est de reconnaître que la situation des Juifs du Maroc n’était pas aussi funeste que celle que vécurent les Juifs d’Égypte, d’Irak, de Syrie, de Libye…

Shmuel Trigano nous a livré ses vues sur cette épineuse question au cours d’une entrevue qu’il a accordée au Canadian Jewish News à l’occasion de la parution du livre collectif La fin du Judaïsme en Terre d’Islam.

“J’ai classé en deux catégories les pays arabo-islamiques selon le type de rapports que ceux-ci entretenaient avec les Juifs: les pays de l’expulsion et les pays de l’exclusion rampante ou manifeste. Le Maroc se range dans la deuxième catégorie, celle de l’exclusion. Au début de l’Indépendance du Maroc, une série de développements ont campé ce que pouvait être l’avenir des Juifs Marocains: la rupture des relations postales avec l’État d’Israël, les difficultés avec l’Administration marocaine, l’impossibilité pour les Juifs d’obtenir des passeports, le fait de voir les siens pris en otages quand un Juif obtenait un passeport… Ces li­mites à leur liberté contraignirent les Juifs Marocains à quitter leur pays natal”, expliqua Shmuel Trigano.

Dans les Annexes de ce livre, Shmuel Trigano a consigné des Documents historiques très éloquents et fort troublants sur ce que fut le quotidien des Juifs au Maroc avant l’instauration du Pro­tecto­rat français. Des Rapports dénichés dans les Archives de l’Alliance Israélite Universelle.

“Le paysage de la condition juive marocaine qui ressort de ces Rapports est accablant. Il devait sûrement en rester une Mémoire, même chez les Juifs les plus oublieux, qui les a alertés de ce qui pouvait les attendre s’ils restaient au Maroc une fois que ce pays aurait acquis son Indépendance. Les esprits oublieux négligent le fait que ce qui reste dans leur Mémoire, c’est l’em­preinte laissée par l’époque du Protectorat français, souligne Shmuel Trigano. Entre les Juifs et les Marocains Musulmans, il y avait les Français. Cette nouvelle réa­li­té socio-historique a tout changé pour ces anciens Dhimmis -au fait, les Juifs vivant encore Maroc sont toujours des Dhimmis sous la protection du Roi du Maroc! Mais, pour les Juifs, dès que les Français sont partis, les choses de­vinrent peu à peu évidentes à travers une série d’événements et de tracasseries attentant à leur liberté de mouvement.”

Pour Shmuel Trigano, la “vraie” Histoire des Juifs du Maroc n’a pas été encore écrite.

“Souvent, dans des conférences, on trouve des Juifs Marocains qui affirment avec une assurance déconcertante que l’Histoire des Juifs du Maroc fut idyllique. Ces derniers ignorent tout simplement ce que fut leur passé au Maroc. Ceux qui ont l’ambition d’écrire l’Histoire des Juifs du Maroc ont souvent négligé ou minoré la réalité historique pour des raisons de convenance personnelle ou de carrière. Il faut quand même dire la vérité. Les Juifs Marocains ont voté avec leurs pieds. Sinon, pourquoi se retrouvent-ils aujourd’hui aux quatre coins du monde et ne vivent-ils plus au Maroc? C’est la question essentielle à laquelle les Juifs Marocains doivent répondre.”

 

In an interview, French sociologist Shmuel Trigano talks about his latest book about the end of Judaism in Islamic countries, referring especially to the situation faced by Jews in Morocco after the declaration of the State of Israel.