‘Le Hamas a subi une défaite exemplaire’

Alexandre Adler

“La dernière Guerre qui a embrasé Gaza s’est soldée par un cuisant échec du Hamas. Cette Organisation islamiste radicale palestinienne a subi une défaite exemplaire.”

C’est tout du moins le point de vue d’un spécialiste chevronné et réputé des questions géopolitiques du Moyen-Orient et internationales, l’historien et journaliste Alexandre Adler, chroniqueur au grand quotidien français Le Figaro, fondateur de l’hebdomadaire Courrier International et auteur d’une quinzaine d’essais très remarqués sur l’Islamisme, le Monde arabe et le conflit israélo-palestinien.

Alexandre Adler a accordé une entrevue au Canadian Jewish News depuis Paris.

D’après ce fin observateur de la scène politique moyen-orientale, ce n’est pas Israël qui a infligé cette “cinglante défaite” au Hamas, mais “l’ensemble de l’environnement régional, qui s’est montré extrême-ment réticent à apporter le moindre soutien aux islamistes palestiniens de Gaza”. 

Tout d’abord, l’Autorité Palestinienne a certes manifesté “une solidarité verbale à l’endroit des dirigeants du Hamas”, mais on voit bien que Mahmoud Abbas a d’abord et avant tout “considéré la dernière offensive contre Israël comme une tentative de le déstabiliser”.

“Par conséquent, l’Accord d’Unité conclu entre le Fatah et le Hamas a volé en éclats lors de la dernière Guerre à Gaza. Bien entendu, officiellement, les dirigeants de ces deux Groupes palestiniens rivaux prétendent le contraire. Mais, dans la réalité, on voit mal comment le Hamas ayant choisi l’option de la violence peut continuer à faire partie d’un Gouvernement de coalition avec l’Autorité Palestinienne.”

D’après Alexandre Adler, l’Autorité Palestinienne est désormais du côté de l’Égypte, de la Jordanie et de l’Arabie Saoudite. Or, le Hamas est du côté du Djihad et d’une sorte d’“Internationale des Frères Musulmans” qui n’a plus qu’un point d’appui, très précaire: le Gouvernement turc de Recep Tayyib Erdogan. 

“C’est un échec cinglant pour le Hamas que de n’avoir pas réussi à mobiliser très largement les pays arabo-musulmans et l’opinion publique internationale.”

Le Hamas a aussi perdu le soutien du régime syrien parce qu’il a abandonné du jour au lendemain Bashar el-Assad, rappelle Alexandre Adler. 

Les liens du Hamas avec le Hezbollah, jadis très étroits, se sont aussi considérablement effilochés. 

“Le Hezbollah, qui a beaucoup à faire en Syrie, n’accepte absolument pas l’évolution actuelle du Hamas.”

Quant aux Iraniens, même s’ils ont toujours appuyé financièrement le Hamas, ils n’ont plus du tout le même engagement derrière Gaza. 

“Aujourd’hui, les Iraniens sont beaucoup plus engagés dans une réconciliation complète avec les États-Unis, que les événements d’Irak accélèrent davantage.”

Selon Alexandre Adler, désormais, de nombreux dirigeants politiques arabes et beaucoup de gens mettent “un signe d’équation entre l’idéologie du Hamas et celle de l’État Islamique, Daesch -expression arabe désignant l’État Islamique-”, tel qu’il s’est manifesté depuis la prise de Mossoul.

“La bataille politique a été entièrement perdue par le Hamas. Si vous me permettez cette phrase qui n’est pas cynique: la naissance de l’État Islamique, Daesch, et les violences que les hérauts de cet État commettent, c’est la meilleure nouvelle qu’on puisse imaginer pour Israël. Tout d’un coup, Israël est dans le même camp que l’ensemble du monde musulman, qui cherche maintenant la voie de retour à l’ordre et à un certain apaisement.” 

Le “paradoxe” de la dernière Guerre entre Israël et le Hamas, c’est qu’on “peut perdre une bataille sans que l’adversaire ne la gagne”, nous avons eu des exemples de ce cas de figure par le passé, rappelle Alexandre Adler.

“Les Israéliens n’ont pas non plus gagné cette Guerre”, soutient-il catégoriquement.

Selon Alexandre Adler, la position d’Israël est forte, et de plus en plus appuyée de l’extérieur, notamment par la Chine et la Russie, mais le Gouvernement de Benyamin Netanyahou ne parvient pas à se mettre d’accord sur “une stratégie d’ensemble” pour aboutir à un compromis honorable avec les Palestiniens.

“La seule stratégie réaliste ne peut être que le retour à la stratégie prônée jadis par Arik Sharon. Bibi Netanyahou se rend bien compte aujourd’hui que la stratégie d’Arik Sharon était la seule raisonnable, mais il n’a toujours pas le courage de rompre en visière avec ses partisans et de dire tout simplement qu’Arik Sharon avait raison et que lui s’est trompé.”

Retourner à la “stratégie d’Ariel Sharon”, c’est tabler de nouveau sur des retraits unilatéraux d’Israël. Cette stratégie ne s’est-elle pas avérée très improductive après l’évacuation de Gaza par Israël en 2005?

“Il est évident que les retraits devront être unilatéraux car l’Autorité Palestinienne n’est toujours pas capable de s’asseoir à une table et de signer un Accord de paix fonctionnel. En revanche, l’Autorité Palestinienne est capable tacite-ment de prendre ce qu’on lui donne et de maintenir la paix civile. C’est tout ce qu’on lui demande.”

Selon Alexandre Adler, si, après le retrait d’Israël de Gaza, l’Autorité Palestinienne était parvenue à instaurer “une autorité suffisante” dans les Territoires sous sa gouverne, notamment en Cisjordanie, nous n’en serions pas là. 

“Mais l’insistance naïve des Autorités américaines à organiser des élections libres en Palestine et le dynamisme du Hamas, qui s’est présenté comme l’héritier légitime de Yasser Arafat, a  fait qu’un double pouvoir s’est mis en place rapidement. Or, compte tenu de l’intolérance profonde pour la Démocratie qui caractérise encore le monde arabe, ce système de gouvernance bicéphale a débouché sur la conquête de Gaza par le Hamas et l’instauration de deux pouvoirs politiques palestiniens très rivaux. À partir de là, toute la dynamique qu’Arik Sharon voulait enclencher a été complètement interrompue.”

D’après Alexandre Adler, Ariel Sharon jouissait en Israël d’un prestige personnel qu’aucun autre leader politique israélien n’a eu depuis.

“Israël n’a plus d’interlocuteur tout simplement parce que ce pays n’a plus de grands leaders politiques. Dans ces conditions, la dernière Guerre à Gaza montre que bien qu’Israël soit en position de force, il ne peut même pas exploiter les victoires partielles qu’il est encore capable de remporter parce qu’il n’y a pas de stratégie, ni de consensus, dans la classe dirigeante israélienne. Par ailleurs, l’actuel Gouvernement de coalition dirigé par Bibi Netanyahou, qui tire à hue et à dia, ne pourra pas durer éternellement.” 

In an interview from Paris, French historian and journalist Alexandre Adler says neither Hamas nor Israel was a winner in their recent war.